Conférences sur la vie chrétienne – 16ème conférence

SEIZIÈME CONFÉRENCE

SOMMAIRE.

De la Force. — Sa nécessité. — Ses effets: persévérance dans la lutte et patience Vice opposé à la Force : la mollesse, qui produit dans l’âme la paresse. — Nécessité d’étudier en N. S. J.- C. la vertu de Force.

Nous étions arrivés à exposer la nature de deux vertus cardinales, et il nous en reste encore deux à faire connaître. Nous avons débuté par la prudence et nous avons vu que c’est une sagesse qui nous indique notre ligne de conduite quant au bien à rechercher et au mal à éviter. De là nous sommas passés à la Justice parce que nous avons des devoirs à remplir à différents degrés à l’égard de Dieu et des créatures qui nous entourent. Vient maintenant une troisième vertu qui n’est pas moins nécessaire, car sans elle nous ne pouvons rien faire ; c’est la force.

L’Homme a besoin de force. Cette vertu dispose l’âme à se maintenir ferme quand il s’agit de faire le bien requis, et
d’éviter le mal défendu. Nous voyons de suite la grande nécessité de cette vertu ; parce que notre vie se partage entre ces deux devoirs : faire le bien et éviter le mal. Tels que nous sommes, nous avons toujours besoin de force dans la lutte du bien contre le mal. Dieu a compté sur cette lutte en nous créant, et il l’a voulu ainsi , afin que le mérite pût exister en nous. La grâce nous apporte la Force, de même qu’elle nous éclaire sur la Prudence et la Justice. L’homme réduit à sa seule force serait bien faible, car nous sommes bornés et loin d’être dans un état bien complet ; aussi avons-nous signalé le besoin que nous avons eu de la grâce médicinale pour nous relever. Il est donc nécessaire que notre force soit renouvelée par un élément supérieur.

MAINTENANT qu’est-ce que produit en nous cette vertu de force? Elle produit la persévérance dans la lutte. Ainsi nous manquons de cette vertu si nous ne sommes pas constants dans les résistances et les sacrifices qui nous sont demandés. Si nous lâchons prise, nous méritons d’entendre cette parole du Seigneur :  » Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière ( disant j’ai bien travaillé, je puis me reposer maintenant ), celui-là n’est pas apte au royaume de Dieu. ni La Force donne donc au laboureur qui opère dans le champ de Dieu, cette volonté persévérante qui dit : Je ne me reposerai qu’après avoir fini le travail qui m’a été imposé. Dans l’homme en question, il y a bien l’effort pour tracer le sillon, mais si la force ne vient pas s’unir à la volonté, il s’arrêtera avant d’avoir atteint le but. Si ce que dit Notre Seigneur est vrai au physique et nuisible l’agriculture, à plus forte raison est-ce très-fâcheux au moral pour l’âme humaine. La Force engendre donc la persévérance ; rester en route est d’un mauvais agriculteur, et il ne saurait réussir. Nous avons donc besoin d’une persévérance non passagère, mais d’une persévérance que l’on cultive, que l’on nourrit et qui s’attache à la volonté de manière qu’on la conserve toujours.

UNE dernière qualité de la Force, c’est la Patience. On ne trouvera jamais la notion de la Patience en dehors de la Force. Donnez-moi un homme patient je dirai qu’il est fort ; comme aussi donnez-moi un homme fort et je dirai qu’il est patient. La patience est donc cette force qu’il faut avoir dans les choses qui contrarient le but à atteindre ; en sorte que nous les accomplissons non par l’ardeur de la passion, mais parce qu’il faut les faire. Sur la route nous rencontrerons des difficultés de la part du démon, des hommes, de la nature même des choses. Si ces tracasseries, ces épreuves , ces malheurs nous font lâcher prise, nous ne sommes pas patients, nous manquons de la vertu de force ; et nous n’arriverons pas. Voilà pourquoi Notre Seigneur dans l’Écriture insiste tant sur cette vertu , car nous sommes exposés à être traversés, à rencontrer sur notre route beaucoup de choses, au sujet desquelles le découragement pourrait nous prendre. La vie des Saints et l’Écriture nous enseignent que les hommes qui ont été le plus chers à Dieu ont été aussi les plus éprouvés. Dieu veut voir si leurs forces iront jusqu’à la patience et à la persévérance. La grâce de Dieu ne fait jamais défaut, et celui qui se laisse vaincre a renoncé à la force. Or il n’y a de sauvé que celui qui aura persévéré jusqu’à la fin : « qui perseveraverit usque in finem, hic salvus erit ». L’Ecriture nous offre un bel exemple de patience dans la personne de Job. Le diable disait : il n’est pas étonnant si Job vous sert, il est comblé de biens ; laissez-moi faire et vous verrez qu’il vous maudira. Il eut été facile à Job de perdre toute patience, mais il avait compris que la raison des chose.; devait être puisée non pas dans la satisfaction personnelle, mais dans l’accomplissement ,de la volonté de Dieu. Qu’importent les difficultés ? Ce n’est pas à nous d’y voir. S’il y a des contradictions, des souffrances, il ne faut pas nous préoccuper, c’est que Dieu le veut ainsi. C’est pourquoi lorsque les théologiens parlent de la Force, ils y font toujours entrer la notion du martyre, qui consiste à donner sa vie pour le devoir permanent dans la volonté.

Celui qui dirait par exemple : pour éviter le mal , je consens à perdre tous mes biens, à aller en prison , mais s’il faut donner sa tête, ah ! j’y regarderai à deux fois ; celui-là n’a pas la vertu de Force ; car il faut toujours être disposé à tous les sacrifices, quand il s’agit du devoir. La vertu de Force doit aller jusqu’à la destruction de l’homme extérieur , autrement nous sacrifierions le Créateur à la créature, Dieu à l’homme ; il y aurait un moment où nous pourrions faire le mal , où nous ne serions plus tenus à la Justice. La vertu de Force qui s’arrêterait à un point donné, serait une vertu sans consistance, c’est bien évident. De là nous comprenons comment l’homme ne peut pas être en rapport avec Dieu sans cette disposition que produit la vertu de Force. Celui qui préfère sa vie à Dieu est dans une situation plus que dangereuse pour son salut. On peut dire qu’il a déjà rompu avec Dieu. Voilà pourquoi le pécheur , pour recevoir le sacrement de Pénitence, doit être disposé à mourir plutôt que d’offenser Dieu gravement ; sans cela il n’y a pas d’absolution pour lui.

C’EST donc la Force qui protège tout dans le chrétien ; sans elle tout est remis en question. Il faut donc sans cesse demander la vertu de Force et nous examiner sur telle ou telle circonstance dans laquelle nous pourrions nous trouver pour voir si nous tiendrions contre le mal. N.-S. est allé jusqu’à établir un sacrement de la Force. Il ne se contente pas de vois donner le Saint-Esprit dans le baptême, il a voulu qu’il y eût en nous une deuxième incorporation de cet esprit comme principe de force et de résistance contre les ennemis de Dieu, les obstacles et les sacrifices qui se rencontreraient dans la vie. La Confirmation est ce sacrement, qui confirme l’homme dans la force et c’est le propre esprit de Dieu qui devient le principe de notre force dans les épreuves. Il y a des hommes qui n’ont pas besoin de l’exercice de cette force ; les enfants qui meurent après le baptême par exemple. Dieu les en dispense. Mais ceux qui survivent sont voués à la lutte ; et voilà pourquoi l’Église demande pour nous la victoire, la persévérance dans l’ensemble de ses prières, nous avertissant par là de la lutte que nous aurons à soutenir. Et comme le soldat ne réussit pas sans bravoure dans la carrière des armes, de même l’homme, et les anciens philosophes le disaient déjà de l’homme dans l’ordre naturel, n’est pas digne de ce nom, s’il n’est disposé à lutter dans l’épreuve.

IL y a un vice qui est opposé à la force c’est la mollesse. La mollesse est une attention à soi, qui fait qu’on ne peut pas lutter, qu’on se lasse. On suspend ses bonnes résolutions, on cesse de résister, et alors c’est tout compromettre ; car ainsi que le disait Job :  » Militas est vita hominis super terram.  »

CETTE mollesse enfante le septième des péchés capitaux , la paresse, acedia, qui est l’opposé de la force et perd un grand nombre de personnes. Ce n’est que par illusion que nous pouvons nous laisser prendre à ce défaut, car nous ne sommes placés sur la terre que pour être couronnés, et nous ne pouvons l’être sans combattre. S. Paul compare l’homme à un athlète dont il nous décrit le régime et l’éducation pour arriver à courir de manière à gagner une couronne corruptible : Courez donc, nous dit-il, de façon à remporter le prix : ut comprehendatis. Autrement le prix passe entre les mains d’un autre, car nemo. .. . coronatur nisi legetime certaverit. Il ne faut donc pas se faire illusion sur la condition qui nous est faite. Par là nous nous expliquons les efforts des saints ; ils ont vaincu parce qu’ils ont été de vrais combattants jusqu’à la fin, S. Paul nous indique cette voie, lorsque dans sa belle épître aux Éphésiens il arme le chrétien de pied en cap.

Si nos ennemis nous laissent quelques instants de repos, ne nous endormons pas, ils reviendront. Examinons si cette trêve ne viendrait pas de ce qu’ils auraient remporté un succès contre nous. Nous verrons le contraire si nous sentons la force en nous ainsi que le désir de vaincre.

IL nous est très-nécessaire de méditer l’Évangile et la vie de l’Homme-Dieu , qui nous servira de modèle. Quelle force en lui ! Je laisse de côté les temps de son enfance, bien que de sa conception il ait agi dans le sens de sa mission ; contemplez-le à son retour d’Égypte, travaillant à Nazareth dans l’atelier de S. Joseph , sans qu’il paraisse de résultat extérieur , sans que le grand œuvre qu’il venait accomplir parût avancer , quelle force et quelle patience il a déployée. Voilà le grand modèle de la vie monastique qui demande plus que toute autre vie un grand déploiement de force ; c’est là surtout qu’il faut la persévérance pour arriver. Le moine fait tous les jours la même chose. Quand il y a de la variété dans les occupations, on est stimulé par une chose ou par une autre. Mais dans la vie du moine il n’y a point d’incidents qui poussent au réveil ; il faut qu’il puise dans sa profession toute la force dont il a besoin. Voyez combien le monde est aveugle lorsqu’il nous considère comme des lâches et des paresseux. Oui nous le serions si nous tombions dans la routine ; mais si nous fuyons le mal et cherchons le bien sans interruption, notre vie est à jamais Bienheureuse à cause du déploiement de force qu’il nous faut toujours montrer jusqu’à ce que Notre Seigneur vienne ‘nous dire : c’est assez, bon et fidèle serviteur, infra in gaudium Domini tui. Mais la persévérance est de première nécessité pour être admis dans cette joie et pour être couronné. N. S. à Nazareth est le modèle du moine. Il ne fait pas de bruit , on ne parle pas de lui au loin ; voyez pourtant quelle immense partie de son existence humaine il a voulu passer ainsi. Nous nous inclinons devant cette Force qui lui a fait accomplir la volonté de son Père.

Plus tard dans son évangélisation, dans sa manifestation comme Messie, dans ses paroles et ses œuvres dans l’établissement de son collège apostolique, qu’est ce qui apparaît ? La Force. Son humanité en est revêtue, il lutte contre tous les obstacles. Ainsi il choisira pour ses apôtres des hommes vulgaires, il leur consacrera trois années et n’arrivera pas à les former. Cependant il poursuit son œuvre, et si en ces jours de la résurrection où nous sommes, elle s’avance ce n’est qui après beaucoup de labeur.

ENSUITE dans l’œuvre de la rédemption qu’est-ce qui brille ? C’est la Force, mise en mouvement par l’amour ! Et ce n’est que lorsque tout est consommé que N. S. se permet à lui-même de mourir et qu’il incline la tête. Voilà comment il est le chef de tous les chrétiens par la persévérance, la force et la patience.

Nous avançons beaucoup dans le portrait de l’homme spirituel. Remarquons bien que Dieu ne nous demande pas des choses au dessus de nos forces, mais des actions de tous les jours. Demandons au Saint-Esprit, qui s’est incorporé à nous, cette vertu de Force. Si nous avons la prudence et la justice et que nous persévérions dans ces vertus par la Force, nous aurons beaucoup avancé dans notre sanctification.

Nous expliquerons la prochaine fois la vertu de Tempérance qui s’étend à beaucoup de choses et qui concourt avec les trois autres vertus cardinales les vertus théologales à former l’homme et l’établir dans un état conforme à la volonté de Dieu , pour l’aider à marcher droit vers sa fin.