Conférences sur la vie chrétienne – 27ème conférence

VINGT SEPTIÈME CONFÉRENCE.

SOMMAIRE.

De la méditation. — Sa nature. — Son but. — St nécessité pour tout chrétien qui n’est pas très pénétré des vérités de la foi. — Abus à éviter. — Danger des livres tout faits et des méthodes matérielles. — Danger qu’il y aurait à s’y confiner par système.

SELON les principes que nous avons posés dans la dernière conférence l’homme est appelé à vivre en société avec Dieu ; et c’est par là que doit être accomplie cette parole :  » oportet semper orare.  » Nous ne sommes pas en ce monde seulement pour éviter le péché, mais surtout pour chercher cette société avec Dieu , la vraie vie de Foi, car ainsi que le dit l’Apôtre :  » Justus ex fide vivit.  » Cette familiarité avec le Seigneur se distingue de la prière proprement dite, mais y rentre cependant ; car dans cet état, l’âme est vraiment une Orante continuelle et du moment qu’elle est dégagée des rapports extérieurs elle se retrouve tout naturellement avec Dieu. Seulement, comme nous le dirons, cet état devient rare, la considération des idées de la Foi qui aidait à la produite étant moins dominante, moins régissante qu’il ne faudrait, et ainsi cette disposition du cœur vient à se rouiller chez plusieurs. Le principe affectif s’endormant , on ne cherche plus Dieu comme l’on doit. cœur ; et pour cela y a-t-il des moyens à prendre ?

TOUTE la question est là ; et nous l’aborderons dans notre prochaine conférence, où nous parlerons de la méditation, qui est le remède à cette double infirmité de l’esprit et du cœur, qui s’endorment ,s’arrêtent, et l’oubli s’empare de l’homme : heureux encore s’adresse à Dieu dans ses besoins.

VOILA des points extrêmement importants qu’il fallait, établir avant d’arriver à la méditation qu’il ne faut pas confondre avec l’oraison. Il y a des âmes pour lesquelles la méditation est indispensable ; d’autres auxquelles elle est simplement utile ; d’autres au contraire pour lesquelles c’est un obstacle.

Nous n’avons rien à ajouter à cette conférence de transition très importantes par laquelle il était nécessaire de passer. Nous aurons ainsi bien des sujets à traiter pour arriver à une doctrine saine sur la vie spirituelle. On est à même de voir combien les livres qu’on a entre les mains sont oblitérés ; soit qu’ils aient été faits par des personnes de haute spiritualité qui n’ont pas pris la peine de mettre les choses à leur place ; soit par des personnes sans valeur qui n’avaient que des théories dans lesquelles nécessairement il y a du pathos en quantité. Mais nous avons les vies des. Saints et leurs merveilleux écrits. Enfin l’Église a décidé beaucoup de questions quand elle dût condamner le faux quiétisme de Molinos et de Fénelon ; d’où il est résulté un ensemble de clartés bien précieuses, car rien de plus scabreux et de plus difficile que le terrain ou nous serons longtemps. A ces hauteurs nous sommes heureux de rencontrer des jalons plantés par l’Église pour diriger nos pas et notre conduite ; et nous empêcher de tomber.

Il lui a promis la possession du Souverain Bien , il lui a donné la grâce pour l’aider. Voyez le Verbe qui s’incarne; voyez la Rédemption qui nous sauve ,voyez la foi qui nous révèle la Vérité; les Sacrements qui nous donnent la force ; puis les grâces de vocation, et celles qui nous sont plus spéciales encore. Jugez après cela de la déperdition qu’il y a en l’homme s’il ne se souvient de Dieu que quand il a besoin de lui !

Si au contraire l’état d’union existe, nous serons avec Dieu comme avec quelqu’un que nous aimons beaucoup; et cela facilement, sans effort ; on n’aura qu’à suivre sa pente.

ON fera une objection : l’homme est tellement épais, dira-t-on, depuis la chute originelle, que pour élever ses sentiments au-dessus de la vie présente, il doit soulever un poids excessif; et il ne peut arriver à l’union avec Dieu sans de très-grands efforts. Ces obstacles viennent de ce que le péché a jeté des ténèbres dans notre esprit, et qu’en affaiblissant nos forces il a rendu l’attention soutenue difficile. La réponse à cela est facile, parce que ce n’est pas seulement à notre esprit que Dieu se révèle, mais aussi à notre cœur Le cœur, lui, ne doit jamais dormir,  » ego dormio sed cor meum vigilat, » ainsi qu’il est écrit. Et en attendant que la lumière se fasse dans notre esprit, il faut que le cœur abonde dans son sens; et si Dieu est aimé, l’âme vivra de cette affection, car  » là où est notre trésor, là aussi est notre cœur.  »

ON dira encore : mais le cœur est non seulement appesanti par suite de la chute, mais par le péché, il est porté à l’oubli , à l’égoïste tue, il ne sait pas se faire violence, se réveiller quand il s’endort : donc nouvelles difficultés, nouveaux obstacles. Pour que cette société avec Dieu s’établisse et se maintienne, il faut que la lumière soit conservée dans l’esprit, que la vitalité demeure dans le

MAIS nous avons annoncé le moyen de rétablir cette présence de Dieu, cette société avec lui; c’est la méditation qu’il ne faut pas confondre avec l’oraison. La méditation en effet, appartient à la théologie ascétique, et l’oraison confine davantage la théologie mystique. La méditation a un double objet pour but : d’éclaircir de nouveau l’intelligence sur des choses connues, de; remettre le cœur dans la disposition de s’occuper de Dieu pour combler les déficits de la mémoire et pour que l’homme rentre dans cette société avec Dieu que N. S. recommande. La méditation consiste donc à s’arrêter, à se recueillir, à considérer telle vérité qui ne fait plus assez d’impression, qui ne gouverne plus assez la vie pour donner du nerf à la conduite; car enfin, l’homme doit toujours se conduire par les vérités que l’intelligence lui remet en vue. Vous voyez la nécessité de la méditation toutes les fois qu’on n’est pas disposé à sentir Dieu près de soi, quand on est exposé à se refroidir, à ne plus avoir une perception aussi claire des vérités de la foi. Comment retrouverons nous cette possession des dogmes? Il est évident que cette vérité n’a rien perdu de sa force en elle-même ; c’est nous qui avons tourné à l’insensibilité. Mais cette insensibilité, si la méditation est profonde sérieuse, ne tardera pas à disparaître. La preuve en est que si nous avons besoin pour un travail d’une notion qui nous échappe, nous nous recueillons, nous disant : j’ai déjà vu cela, je l’ai lu quelque part, mais j’ai pensé à tant de choses depuis! Alors nous nous remettons en mémoire ce qui nous conduit, au moyen de la réflexion, à une nouvelle possession de cette notion oubliée. Ainsi nous avons un avantage, très-grand ; car autrement nous ne saurions que des choses vagues et sans valeur. Remarquons bien que ceci n’est pas de la contemplation et n’a même aucun rapport avec elle. C’est simplement une série d’actes de l’intelligence qui nous fait retrouver des vérités perdues, là où il en reste encore des traces; ou qui doivent nous refaire à neuf l’intelligence.

LA conclusion c’est que la méditation est très-nécessaire au chrétien, à moins qu’il ne soit trés-pénétré des vérités de la Foi et dans une union très-intime avec Dieu. Il faut donc dire qu’elle est nécessaire à la plupart des chrétiens, soit d’une façon continue, soit d’une façon plus ou moins intermittente, selon qu’ils éprouvent plus ou moins de difficulté à s’élever vers Dieu. Alors ce sont les notions qu’il faut se proposer de retrouver, et après avoir , bien entendu , imploré le secours de Dieu dans la prière, on réfléchit sur ces vérités, et on réforme en soi cette connaissance et cette conviction qui nous avaient déjà été infusées par la grâce.

MAINTENANT il y en a quelques-uns qui étant invités à vivre avec Dieu plus intimement , facilement seraient amenés à croire qu’ils ne doivent pas faire autre chose que méditer , la méditation leur ayant réussi dans les moments où leur âme avait de la difficulté à s’élever vers Dieu. Avançeraient-ils ainsi? Non ; et s’il y en a à qui la méditation suffit , il faut les plaindre ; car ils sont incomplets. Un tel système, comme cela arrive malheureusement trop souvent , n’est bon qu’à diminuer l’esprit d’union avec Dieu , à laisser les âmes dans la même attitude.

ON s’habitue ainsi à parcourir tous les jours certains degrés de raisonnements, de preuves, de motifs, et on arrive à la mort sans s’être avancé sur rien. C’est là que les directeurs doivent faire attention aux âmes qu’ils dirigent, car on peut ainsi abuser de la méditation, et malheureusement on en abuse beaucoup.

LA grande cause c’est la peine que l’on a prise de faire des livres de méditation qui vont du 1er Janvier au 31 Décembre, pour tous les jours de l’année ; les uns sur un plan, les autres sur un autre. Il y a des esprits à qui l’on persuade qu’il sera très-avantageux de lire cela. Ils le font donc ; et quand ils ont fini, ils recommencent : seulement, examinez-les, ils sont après plusieurs années les mêmes qu’auparavant. La forme est fixée : il faut trois points, quatre ne seraient pas bons,- deux ce serait incomplet. A quoi cela remonte-t-il ? Les premiers chrétiens ne se préoccupaient pas de cette manière de faire ; mais on s’inquiète bien de ce qu’ils faisaient ainsi que des Pères de l’Église ! « Je dirai mon bréviaire, je le dirai même le soir afin de pouvoir bien faire ma méditation demain matin. L’important c’est la méditation, car le bréviaire c’est une charge ; on me l’a appris ainsi.  » Aussi a-t-on vu Monseigneur de Lamothe, Évêque d’Amiens, ne pas vouloir ordonner un sous-diacre Sans lui faire faire le. ,vœu de consacrer chaque jour une demi-heure à la méditation. Le vœu était fait et tenait ; si ce malheureux était appelé à l’oraison, tant pis, c’était une demi-heure perdue Il n’y à pas une notion dé vérité dans tout cela. C’est l’abus d’une chose qui est bonne en soi, et même nécessaire quelquefois ; car ne croyez, pas que je veuille dire que la méditation est inutile ; non. Elle est même indispensable dans certaines circonstances de la vie ; soit parce que quelques vérités nous échappent relativement au dogme ou à la morale, soit parce que nos fautes nous rendent ces vérités moins claires. Comment sortira-t-on de là ? C’est en supputant comme dit Notre-Seigneur. Nous ne devrions pas avoir besoin de la méditation qui est fondée sur le besoin que nous avons de nous raviver. Mais quand ce besoin se fait sentir, on ne saurait proclamer trop haut combien il est important de méditer de réfléchir. Seulement il ne faut pas matérialiser ce moyen. On a fait des méthodes plus ou moins habiles; tous les procédés de l’intelligence y sont analysées : c’est fort curieux à lire.

MAIS si on fait défiler tout cela, notre action ressemble beaucoup à une chose toute humaine, et si Dieu, se trouve au bout, c’est qu’il a bien de la bonté. Il peut bien laisser de côté un homme qui a tant d’esprit et qui passe son temps à égrener toutes ces filières d’actes. Puis si le sujet est bon, passe! s’il est mauvais, il faut néanmoins faire sa thèse. Le résultat le plus clair alors, c’est qu’on perd son temps.

COMME on se lasse de tout, on se lasse de cela également ; une fois dégoûté, on s’éloigne de Dieu , et on n’y revient pas facilement. Quand nous avons besoin de méditer, il faut le faire ; mais si votre âme a besoin d’autre chose , ayez pitié d’elle et n’allez pas l’étrangler ainsi , n’allez pas fermer la porte à ses relations avec Dieu.

C’EST que, voyez-vous, on rencontre des hommes sérieux qui prennent l’habitude de défiler ces livres en trois points ; et tous les ans l’on en publie de nouveaux. Il en résulte qu’au bout de quarante ans vous retrouvez ces hommes avec les mômes défauts qu’au commencement. Un peu d’oraison les eût changés, mais le volume est là qu’ils regardent comme un supplément au bréviaire , il faut bien s’en acquitter.

AUTRE chose : ces méditations ainsi arrangées à l’avance offrent beaucoup de dangers parce qu’il y a là nécessairement beaucoup de hasard. Nos impressions et nos besoins ne sauraient être fixés ainsi par des dates. Tous auriez besoin d’approfondir tel ou tel point de dogme ou de morale , mais il ne se trouve pas dans le volume ; ou bien il faut tourner la page et mettre l’image un peu plus loin , tandis qu’il vous aurait été bon de rester plusieurs jours sur ce sujet. Mais il faut que le volume s’écoule!

C’EST comme les examens particuliers ; quelqu’un a inventé cela ; d’autres ensuite s’en sont emparé ; et M. Tronson les a formulés de la manière célèbre que vous connaissez.

ON s’examine sur telle vertu, il y en a pour un jour. Mais on n’a pas eu le temps de se refaire ; peut-être la grâce de Dieu serait- elle venue, mais il faut avancer. Voilà le malheur de ces examens publics que l’on fait dans certains séminaires. Il y a toujours des traînards. Vous vous examinez aujourd’hui, je suppose, sur l’humilité. Tous ne sont pas au même point. On ne voit la chose qu’en passant, rien n’est acquis, et on rit de cela comme du reste. Tandis qu’il faudrait dire: Prenez une vertu; et jusqu’à ce que vous l’ayez gagnée, travaillez à l’acquérir. Que penserait-on d’un général qui dirait : Je vais passer tant de jours devant cette place ; si elle est prise, tant mieux; sinon je passerai et j’irai ailleurs. Ne serait-ce pas inviter l’ennemi à faire des sorties sur vos derrières et lui préparer ainsi un triomphe? Cette manière de procéder cause de grands ravages. Mais que voulez-vous? le clergé ne peut communiquer aux fidèles ce qu’il n’a pas reçu. Les meilleurs recommandent tout cela ; chaque année il y a de nouveaux livres et de nouvelles méthodes ; aussi les personnes pieuses, sauf celles qui sont adonnées à l’oraison, ont toujours les mêmes défauts et les mêmes misères.

VOILA pourquoi je n’ai pas voulu qu’ici, comme en beaucoup d’autres maisons, m’aie de notre Ordre, on eût des sujets de méditation, sans savoir si tel ou tel a besoin de méditer sur ce sujet. Là où ce système est en vigueur, on lit le sujet la veille pour le lendemain, on y pense au lit, le matin en s’habillant, mais sans s’occuper de savoir où l’on en est de sa perfection.

LE mécanisme est allé, il faut marcher_ De temps en temps

on entend le bonhomme ou la bonne femme qui annonce le deuxième point. S’il y a quelqu’un que Dieu attire, c’est une distraction ; s’il est distrait de quelque manière que ce soit, cela lui entre par une oreille et sort par l’autre.

ALORS pourquoi pas aussi une préparation publique à la confession, à la communion? Je ne comprends cette méditation à haute voix que pour une mission ou une première communion. Car pour la psalmodié, ce n’est pas le même cas. Les Psaumes sont faits pour être chantés à deux chœurs ; il faut donc nécessairement s’entendre.

CHACUN a son état particulier, Cl tous nous ne sommes pas faits pour passer par le même moule.

CE qui concerne le mouvement des puissances de l’âme vers Dieu, ce qui forme le cœur, ce qui est le rafraîchissement et la réhabilitation de notre appareil spirituel, si je puis parler ainsi, c’est une affaire privée dont nous avons le secret par l’étude de nous- mêmes, notre propre expérience ; le tout subordonné à la grâce de Dieu.

IL faut prier Dieu attendre tout de sa lumière, et ne pas s’enserrer dans un mécanisme qui ne prendra pas, je ne dis pas cent personnes, mais trois. En effet il n’y a pas trois personnes qui aient la même chose à penser, et à se fortifier sur les mêmes points.

IL faut mettre du sérieux dans tout cela ou ne pas s’en mêler. Évitons la routine, car alors il arrive un malheur, c’est que les gens finissent par prendre de l’ennui d’une chose qui ne leur profite pas et qui les gêne. A peine sont-ils en dehors de la vie commune, qu’ils s’affranchissent de ce factice, et comme ils ne sont par formés, les voilà à vau-l’eau. Ils n’auront jamais de piété ni d’esprit de foi. Heureux encore si la conscience les avertit.

EN somme, de ce système il résulte une diminution très-grande dans la connaissance des vérités avec une déperdition de la foi et de la piété, tout en ayant l’air de chercher Dieu.