VINGT-HUITIEME CONFÉRENCE.
SOMMAIRE.
Différences qui existent entre la méditation et l’oraison Comme la méditation remédie aux défaillances de l’intelligence, ainsi l’oraison remédie aux défaillances du cœur. — Dans l’oraison, il y a plus d’affection que de réflexion. — Ces affections doivent être basées sur une conviction surnaturelle. — Il faut. pour faire oraison, apporter une volonté sérieuse de s’unir à Dieu. — Il faut aussi que le recueillement soit la disposition générale de l’âme, qui doit correspondre aux touches de la grâce.
REMONTANT aux principes que nous avons posés , c’est-à-dire que nous devons rechercher la société de Dieu avec l’âme et de l’âme avec Dieu, rappelons en quelques mots ce que nous avons dit. Il faut que l’âme cherche Dieu d’une manière constante. Or l’homme est incertain, il est exposé à la variation » numquam in eodem statu permanet, » dit Job ; il peut donc être distrait de cette société avec Dieu ; alors cette prière, qui devrait être au contraire incessante, est interrompue ; d’autres préoccupations entretiennent l’âme, et si l’on n’y prenait pas garde, le temps serait perdu. Nous avons établi comme principe général que, dans ce cas, et toutes les fois que nous ne trouvons pas Dieu facilement, la méditation est nécessaire ; elle est le remède dont notre intelligence a besoin; et alors il nous faut chercher ce qui nous manque, voir devant Dieu ces vérités qui nous échappent pour le moment. Je dis : voir devant Dieu parce que c’est là le cachet de la méditation. En effet on peut voir les choses par l’étude et par la science ; et même alors si l’on a l’esprit de prière, on peut dire que cette méditation dure toujours, car l’âme ne doit pas rencontrer la vérité sans la saluer et sans remercier Dieu ; c’est la. vraie manière d’étudier. Mais on ne fait pas toujours ainsi. Il faut ajouter que pour être un secours dans la prière, un ravivement de la foi en nous, il faut que la méditation soit faite avec l’intention de retrouver Dieu. C’est alors qu’elle fait revivre ce que la grâce nous avait donné en d’autres moments, et nous rend les convictions surnaturelles.
AINSI donc contre les distractions de l’intelligence, il faut se servir de la méditation. Contre les distractions du cœur que faudra-t-il faire ? Pour y échapper le chrétien a besoin de produire des affections, des actes qui l’unissent et le rapprochent de Dieu non plus seulement par l’intelligence, mais par les sentiments : de la réunion de l’un et de l’autre se forme l’oraison. L’oraison n’est donc pas la. méditation. L’oraison existe lorsqu’on se tient en la présence de Dieu, soit que l’âme vienne de s’éclairer dans la méditation, soit que n’en ayant pas besoin elle vienne se placer immédiatement par l’affection en la présence de Dieu. Car enfin. qu’est-ce que cet état voulu de Dieu : « oportet semper orare, » sinon un état dans lequel Dieu deviendra le centre où nous ramènera notre contentement extrême à recourir à lui comme au Bien-Aimé avec qui on s’épanche, en sorte que nous ne cherchions pas ailleurs le complément de nos désirs ?
DONC il ne faut pas se borner à la méditation . La plupart des auteurs modernes s’arrêtent là, leurs livres en trois points sont des livres d’instruction plutôt qu’autre chose, et peu capables d’introduire à cet entretien avec Dieu. Si à la fin, par occasion, on marque quelques affections plus ou moins fades, le seul but qui apparaît c’est d’éclairer l’esprit, soit qu’on use des paroles de l’Ecriture, soit qu’on ait recours aux motifs de raison, ou à l’expérience pour convaincre de la vérité. C’est triste, et faute d’avoir une bonne doctrine sur l’oraison , la plupart des jeunes gens qui sortent des séminaires prennent l’habitude de ne faire de l’oraison qu’une suite de réflexions ; en sorte que bientôt cela les ennuie et qu’ils mettent tout de côté. Il vaudrait beaucoup mieux tendre à s’entretenir avec Dieu, ce qui est tout autre chose que de raisonner et de s’instruire. Ce n’est pas le moment.
N’oublions donc pas que l’oraison est une conversation avec Dieu. Si la méditation se fait avec un esprit droit, d’une façon simple et naturelle, si on ne se borne pas à la forme scientifique, il en sera ainsi. Mais si on la fait avec ces méthodes aux formes alambiquées par lesquelles on doit passer, on en viendra à faire les choses par bienséance ; on se dira à un moment de sa méditation : ah! je n’ai pas produit d’affections; il faut que j’en fasse dans ce moment, parce que c’est dans la pancarte. Vous comprenez quel vide! Ces affections doivent sortir de notre aptitude à entretenir relation avec Dieu qui veut avoir société avec nous : » mansionem apud eum facie. mus. »
IL y a beaucoup plus à profiter dans l’oraison que dans la méditation. Dans l’oraison en effet, il y a plus d’affection que de réflexion; c’est plus simple et plus naturel ; on se rapproche toujours plus de Dieu par le cœur que par l’esprit. Ainsi les Séraphins sont-ils toujours plus près de Dieu que les Chérubins, comme aussi les Chérubins sont au-dessus des autres hiérarchies, parce qu’en ayant plus d’intelligence ils ont aussi plus d’amour. Le Saint-Esprit n’agit sur l’intelligence que pour pousser le cœur vers Dieu; ce qui se fait surtout par les affections.
POUR qu’il y ait oraison il faut donc que le cœur se trouve ‘en rapport avec Die.’ , que la charité se ranime ; alors un avantage sera obtenu , car l’oraison rejaillira sur toute la journée ; les relations se rétabliront et le courant sera remis de l’âme à Dieu.
CETTE deuxième partie de l’oraison est dans un sens plus attrayante que l’autre, car elle donne moins de mal à l’intelligence. Seulement il ne faudrait pas qu’il y eût en cela de la paresse.. Certains esprits en effet n’aiment pas à réfléchir ; mais si on .produit des affections qui ne proviennent pas de la réflexion de l’intelligence si c’est tout simplement une chaleur factice qui n’est pas appuyée sur une conviction, elles s’épuiseront bien vite ; car elles -manquent de base ; et la pratique de l’oraison laissera l’individu à peu près dans le même état.
IL faut donc la méditation a- l’oraison. Seulement si la conviction est faite, il vaut mieux s’adonner à l’oraison que de s’occuper du sujet sur lequel le voisin réfléchit encore, s’il n’est pas rendu au même point que vous. Mais les deux choses sont nécessaires, car dans notre état nous devons tendre à Dieu- par l’une et par l’autre. MAIS comment se tenir à certains instants dans l’oraison ?
Comment la faire lorsque l’intelligence ou le cœur sont condamnés à. une sorte de mutisme, en sorte qu’on voudrait en vain faire oraison, on ne peut en venir à bout ? D’abord il faut bien s’examiner. Ce serait une erreur de croire que l’oraison ne convient qu’à une classe de gens ; elle convient à tous. Il y a même des personnes qui la font sans le savoir et la font très-bonne. Il faut donc prendre garde aux fausses idées sous ce rapport. Car ce qui fera qu’on n’a pas une facilité bien grande à fixer son cœur , c’est que souvent on
a mis soi-même des obstacles, en ne voulant pas assez sérieusement le but de l’oraison qui est de s’unir à Dieu. Si on n’apporte port cette disposition, la distraction s’empare de nous l’oraison ne pourra durer, je ne dis pas seulement une demi-heure mais ,pas même un quart-d’heure, car le jeu de nos facultés de ne pas de commande. Le Saint-Esprit nous conduira donc à raison de la droiture de nos intentions. Il ne faut compter sur aucun profit -en agissant par manière d’acquit. Dieu ne s’empare de l’âme -qu’en proportion du désir qu’elle a uniquement de se mettre en rapporte avec lui. Alors elle ira au but malgré les aberrations de: l’esprit qui ne doivent être comptées pour rien. Il faut être à. Dieu tout d’une pièce, mais si l’on a pris en quelque sorte la, résolution implicite de ne pas faire d’efforts, de se garder toujours avec les mêmes défauts, on n’aboutira à rien, oit est destiné à la stérilité. Il pourra arriver par une miséricorde particulière de Dieu qui a pitié de sa créature qu’il y ait de bons moments ; mais comme fruits de nos dispositions, on ne recueillera rien de sérieux.
UNE autre disposition pour réussir c’est de faire attention à soi avant ô’ pendant l’oraison afin de se tenir dans le recueillement. Si nous ne prenons pas ces précautions nécessaires, nous n’obtiendrons pas ce que nous cherchons. Dieu voyant notre peu de bonne volonté à son service, nous servira selon nos mérites, et nous n’irons pas loin.
IL ne suffit pas de penser à ce que l’on va faire dans l’instant même. Si la disposition générale de l’âme n’est pas le recueillement il ne faut pas croire que parce que la cloche a sonné, nous, allons nous nous trouver recueillis. Si l’âme tombe dans l’excès d’un Côté ou de l’autre, si elle se recherche soi-même, si elle est pleine de préoccupations dont elle devrait être vide, pensez-vous que la. grâce va descendre sur elle pour quelques instants parce qu’à ce moment là vous le désirez ? non ; et Dieu fait bien de ne pas venir, vous comprenez ! Il veut de la droiture dans notre manière de faire ; il veut n’être pas l’objet de notre recherche uniquement à un moment donné; mais il veut planer sur tout l’ensemble de notre vie.
Nous devons donc considérer qu’il faut nous tenir sous l’influence de la grâce. Dieu qui nous pénètre de toutes parts sait bien si ce que nous lui disons est vrai. S’il y a quelque imperfection voulue consentie, il ne faut pas s’étonner si Dieu ne se manifeste pas à l’âme, et si elle ne trouve pas son repos en Dieu. Mais si au contraire notre âme est habituellement conforme à ses intentions, l’oraison sera bonne ; et cela, quelles que soient les circonstances.
AINSI , il pourra arriver qu’on soit privé pour quelques instants de l’oraison ; mais ce ne sera jamais pour toujours ; ce ne seront que des épisodes, et le fond restera quand même. Par exemple, un homme sera privé de l’oraison, parce que quelque occupation sera venue à la traverse; mais si l’âme est dans la disposition ordinaire que demande l’oraison; cet homme s’avancera bien plus qu’un autre qui conservant un obstacle dans son cœur , a pris sa montre pour faire la méditation ou l’oraison ( quoique cela ne paraisse guère facile ) pendant le temps que lui-même ou l’usage aura déterminé. Celui-ci sera moins avancé que l’autre. C’est ainsi qu’il faut comprendre la doctrine. Autrement on a des idées fausses, des illusions, et pas de sérieux.
MAINTENANT il pourra arriver qu’une âme tout d’un coup par la pure miséricorde de Dieu, parce qu’il a des desseins sur elle, reçoit en commençant toutes sortes de facilités pour l’oraison. Tant mieux pour cette âme ; mais il ne faut pas croire pour cela qu’elle soit arrivée et que cela durera toujours. C’est un avantage, c’est une pousse que Dieu lui donne pour la mettre dans le mouvement, mais si elle. ne s’y met pas Dieu la quitte. C’est si vrai que j’ai vu dans mon ministère, des âmes qui peut-être ne seront pas sauvées, et qui ont cependant reçu des impulsions puissantes et se sont trouvées à un moment donné dans des voies trés-élevées. Dieu leur tendait la corde ; elles ne l’ont pas saisie, il, s’est retiré.
Si on veut tendre à la sainteté, souvenons-nous qu’on n’y va que par l’amour de Dieu. Il faut donc s’examiner sous ce rapport. Si notre cœur obtient une réponse affirmative, qu’on ne s’inquiète de rien. Là est l’important ; le reste, par exemple ce qui touche la longueur du temps, est une chose arbitraire. Si la disposition d’union avec Dieu est foncière, il sera toujours facile de retrouver le Seigneur, car dit le Psalmiste : » Il se laisse trouver par ceux qui le cherchent. »