Le Jansénisme et la compagnie de Jésus – polémique

CHRONIQUE

« Revue de l’Anjou et du Maine »

Angers, Librairie de Cosnier et Lachèse

1858

tome troisième

pp. 113-116

* *

    M. l’abbé Bernier nous adresse la lettre suivante :

    A M. le directeur de la Revue de l’Anjou et du Maine.

    Monsieur le Directeur,

    Il s’est glissé, dans la note que vous avez jointe à mon article en réponse au R. P. abbé de Solesmes, quelques inexactitudes, imputables à des préoccupations qui ont mis votre mémoire en défaut. Je réclame de votre justice une simple rectification sur les faits, et, à cet effet, la publication, dans le plus prochain numéro de votre Revue, des particularités suivantes, que j’affirme de la manière la plus positive, parce que j’en ai un souvenir on ne peut plus clair et précis

    1° Lorsque je vous rencontrai, fortuitement, dans le courant du mois d’août dernier, au débouché de la rue Chaperonnière, vous me demandâtes si je ne vous donnerais pas quelque article pour votre Revue ; c’était la seconde fois que vous m’honoriez d’une pareille demande. Je vous répondis que je n’avais rien à vous offrir, sinon un travail déjà vieux sur le jansénisme, et qui, pour rentrer dans la spécialité de votre Revue, aurait besoin de quelques additions relatives à Henri Arnaud. Vous m’invitâtes à y mettre ce complément et à vous le livrer.

    2° Peu de jours après, vous étiez à la veille de votre départ pour les vacances. J’allai, non pas vous offrir un article, mais vous remettre un article que je vous avais proposé, sur une demande itérative de votre part.

    3° Je vous donnai lecture du manuscrit. Vous me suggérâtes l’idée d’une modification sur un point accidentel ; j’adoptai votre idée et je la complétai, dans votre sens. Vous ne demandâtes aucune autre modification ; et vous ne témoignâtes pas la moindre hésitation pour l’admission et l’insertion de l’article.

    4° Vous réservâtes le droit, bien naturel, de joindre, si vous le jugiez opportun, quelques notes au texte, pour décliner la solidarité des assertions auxquelles il ne vous conviendrait pas de paraître vous associer ; mais il n’y eut pas un seul mot dans le cours de notre entretien qui pût me faire deviner, qu’en acceptant mon article, vous vous réserviez de le combattre, de le réfuter, comme vous dites, dans le recueil même dont vous lui ouvriez l’entrée ; rien, absolument rien, ne fut de nature à me faire pressentir celle regrettable controverse, clans laquelle j’ai cédé à l’avance l’honneur du dernier mot à quiconque l’ambitionnera, mais qu’il ne sera donné à personne de clore à la satisfaction des esprits judicieux, avant d’avoir cité, discuté et comparé les divers monuments de l’histoire du jansénisme.

    Recevez, Monsieur, etc. BERNIER, chanoine. »

 

    Si nous nous étions laissé dominer par une préoccupation au point de commettre une injustice ou une grave erreur, nous croirions n’avoir rien de mieux à faire que d’avouer nos torts et de les réparer. Ce devoir ne nous paraît pénible à remplir envers qui que ce soit : en tout cas, il ne pourrait y avoir hésitation de notre part en présence d’un ecclésiastique aussi honorable que M. l’abbé Bernier. Mais nous avons passé plusieurs fois au crible de la conscience toutes les expressions contenue dans notre note du 1er mars, et nous n’en avons pas trouvé une seule qui justifiât la réclamation qu’on vient de lire. Il y a plus, nous avons vainement cherché, dans la lettre même de M. l’abbé Bernier, l’indication des inexactitudes dont il se plaint.

    Qu’avons-nous dit, en effet ? Que M. Bernier était venu nous proposer une étude sur le jansénisme, et que nous avions accepté ce travail, parce que la doctrine de l’église y était sainement exposée, mais sans dissimuler à l’auteur que nos sentiments n’étaient pas d’accord avec les siens, à l’endroit de certains faits sur lesquels les opinions sont libres.

    Or, rien de tout cela n’est contesté. Seulement, M. Bernier tient à faire remarquer : 1° que s’il nous a présenté son article sur le jansénisme, c’est que nous l’avions prié plusieurs fois d’écrire dans la Revue ; 2° que, tout en nous réservant de décliner la responsabilité de quelques passages de cet article, nous ne lui avions pas manifesté l’intention de les réfuter.

    Ces deux observations sont parfaitement exactes, et nous n’éprouvons aucune répugnance à les rendre publiques. M. Bernier a été l’un des rédacteurs les plus justement estimés de l’ancienne Revue de l’Anjou.. C’est un écrivain sérieux et instruit, et tout le monde ici se rappelle encore sa charmante et spirituelle notice sur le Collège de Beaupreau. Il est donc tout naturel qu’en prenant la direction de la Revue de l’Anjou et du Maine, nous ayons tenu à honneur de nous assurer sa collaboration. Mais avons-nous contracté, par cela même, l’engagement. implicite de ne combattre aucune des opinions que nous lui laissons la liberté d’exprimer dans notre recueil ? L’affirmer, ce serait exiger de nous une abdication sans dignité et tout à fait insolite dans la presse.

    M l’abbé Bernier établit une distinction que nous ne saurions admettre entre le droit de décliner la responsabilité d’un article et celui de le réfuter. Si le directeur d’un journal ou d’une Revue peut déclarer qu’il ne partage pas une opinion à laquelle cependant il donne la publicité, il peut évidemment, et sans explication préalable , produire toutes les preuves qu’il juge nécessaires, à l’appui de son dissentiment. La seule obligation qui lui soit imposée, c’est d’éviter toute parole blessante ou injurieuse : nous n’avons jamais songé à nous en affranchir.

    Il y a peu de temps, le R. P. dom Guéranger, dans un de ses articles sur le Naturalisme, a porté un jugement qui a paru contestable à l’Univers. Non seulement cette feuille a déclaré qu’elle ne l’adoptait pas, mais encore elle a annoncé qu’elle ferait connaître en quoi sa doctrine diffère de la thèse du savant bénédictin. Nous ne pensons pas que le R. P. abbé de Solesmes ait élevé la moindre plainte à ce sujet.

    Quel est le but de la lettre de M. Bernier ? De prouver qu’il n’est pas responsable de la controverse engagée ? Que M. Bernier n’ait pas eu le dessein de soulever une polémique, nous le croyons sans peine. Personne cependant ne lui a dicté les pages qui l’ont suscitée, et ne l’a contraint de les livrer à l’impression. En les publiant, quoiqu’il en fût de notre sentiment personnel, il s’exposait à être contredit, ici ou ailleurs, peu importe. Il pouvait encore, peut-être, répondre au R. P. abbé de Solesmes de manière à avoir l’honneur du dernier mot, et à rendre inutile toute protestation de notre part. La responsabilité du débat porte donc bien réellement sur lui. Mais, nous le confessons volontiers, elle porte aussi sur nous. Il est vrai que nous ne trouvons pas le fardeau trop lourd , parce que, à notre avis, le danger est beaucoup moins dans la discussion en elle-même que dans les assertions soutenues par M. Bernier. – Pourquoi, nous objectera-t-on, les jugeant dangereuses, avez-vous consenti à les répandre ? – Nous l’avons déjà dit, parce qu’elles appartiennent au domaine libre. Mais nous avons pensé qu’il convenait de mettre en regard des appréciations que nous croyons plus justes, et, nous le répétons, nous eussions essayé de remplir cette tâche , si le R. P. dom Guéranger ne s’en était chargé.

    La discussion se poursuit, féconde en enseignements, et il s’en faut de quelques pages seulement qu’elle soit épuisée : les lecteurs jugeront et a les esprits judicieux a reconnaîtront de quel côté a les divers monuments de l’histoire du jansénisme ont été le mieux étudiés. Il ne nous reste qu’un vœu à exprimer, c’est que M. l’abbé Bernier, à qui la Revue est ouverte aujourd’hui comme elle l’était hier, demeure à notre égard dans les sentiments d’affectueuse estime qu’il nous a toujours témoignés. Quant à nous, rien ne saurait altérer le respect que son caractère nous inspire.