Marie d’Agreda – 7e article

Marie d’Agréda et la Cité mystique de Dieu.

7ème article : Les trois parties de la Cité Mystique. La création œuvre de la Très Sainte Trinité. Les figures prophétiques de la Loi. La conception immaculée de Marie. Lucifer cherche à connaître le dessein de Dieu. La naissance de Marie. La présentation de Marie au Temple. Les vertus de Marie, Mère de Dieu. La mort de Sainte Anne.

(Septième article. – Voir les n°s des 23 Mai, 6 et 20 Juin, 18 Juillet, 1er et 15 Août.)

 

    La Cité mystique est divisée en trois parties, dont nous ferons successivement l’analyse rapide. Commençons par la première. Il n’est pas besoin, sans doute, de prévenir de nouveau le lecteur que les détails qui vont suivre ne sont en rien imposés à sa foi, et qu’il demeure complètement libre de considérer cette vaste synthèse comme une œuvre purement humaine. N’est-elle que cela ? Il serait difficile de le soutenir, si l’on tient compte de l’ensemble des faits qui ont été produits. Quoi qu’il en soit, le moins que l’on pût dire à la louange de cette œuvre, c’est qu’elle demeure l’un des plus imposants monuments du génie humain, et qu’elle suppose dans son auteur la plus merveilleuse pénétration des mystères du christianisme, la plus profonde connaissance de sa morale, et une rare intelligence des Saintes-Écritures.

La Sœur commence par donner, avec une grande clarté et une admirable précision, des notions sur la lumière divine par laquelle les âmes obtiennent dans l’extase certaines connaissances supérieures, et elle décrit en particulier les phénomènes de ce genre qu’elle a éprouvés. Entrant ensuite dans le détail, elle commence par les contemplations de l’essence divine qui lui ont été accordées : la génération éternelle du Verbe, la procession du Saint-Esprit. Elle a vu que les trois divines personnes ont formé de toute éternité le décret de se communiquer aux créatures. Ce décret, simple et indivisible dans la science de Dieu, lui a été montré dans un ordre successif, afin qu’elle en pût apprécier la teneur et l’étendue, et la Sœur, en l’exposant, le divise en six instants de raison. Dans le premier instant, Dieu contemplant ses propres perfections, a jugé qu’il lui était convenable et presque nécessaire de les communiquer ad extra, en les épanchant sur les créatures, et en sorte que cette communication fût aussi parfaite qu’il est possible, selon les diverses proportions des êtres à créer. Au second instant, Dieu a décrété que sa gloire serait le motif et la fin de son œuvre ; au troisième, que l’ordre et l’harmonie entre les êtres créés atteindraient la plus haute perfection ; qu’à cet effet, le Verbe assumerait la nature humaine, afin qu’entre toutes les créatures il y en eût une qui devînt le lien intime de toutes les autres avec la divinité. Au quatrième instant, Dieu a décrété que toutes les grâces possibles seraient l’apanage de l’humanité de son Fils, et que le Verbe s’incarnerait au moyen d’une Mère ; en sorte que cette Mère d’un Dieu incarné a précédé dans l’intention divine, toujours d’une précédence de raison, le décret en vertu duquel devaient être produites toutes les autres créatures. Il devrait arriver de là que le torrent des divines perfections se répandrait sur elle dans toute la plénitude compatible avec la condition d’un être créé. Ce fut à ce même quatrième instant que Dieu résolut de créer, pour l’habitation du Verbe incarné et de sa Mère, le ciel, la terre et les astres, destinés, par une volonté postérieure, à servir aussi à l’habitation des autres créatures appelées à vivre sous le sceptre du Verbe incarné. Au cinquième instant, Dieu a décrété la création des anges, qui seront divisés en neuf chœurs et trois hiérarchies ; ils auront pour fin de connaître et aimer Dieu, et ils seront assujettis au Verbe incarné comme à leur Chef, et à sa Mère comme à leur Reine. Toutes les grâces au moyen desquelles ils mériteront la vision béatifique leur seront accordées en vue des mérites futurs de l’Homme-Dieu. Ce fut à ce même instant que Dieu décréta l’élection des bons anges et la réprobation des mauvais, sur la prévision de la fidélité des premiers et de la désobéissance des seconds ; et qu’il résolut de destiner le ciel à l’habitation des justes, la terre et le reste pour l’usage des autres créatures, et le centre de la terre pour être la prison des esprits rebelles. Au sixième instant se rapporte le décret par lequel Dieu a résolu de créer un peuple spécial pour le Verbe incarné ; ce peuple sera le genre humain, qui participera à la nature que le Fils de Dieu daignera prendre. C’est à ce même instant que sont ordonnés le mode futur de la propagation de la famille humaine, qui procédera d’un premier homme ; la série des grâces émanant des mérites du Christ pour mettre notre race en l’état d’atteindre sa fin, l’intégrité de la justice originelle, si l’homme veut la conserver. La chute est prévue, ainsi que le décret en vertu duquel chaque enfant d’Adam contractera la tache d’origine ; mais la Mère de l’Homme-Dieu ne sera pas comprise dans ce décret, attendu que le plan auquel se rapporte sa création est antérieur d’une antériorité de raison à celui qui s’applique à la formation de la race humaine.

Après cet exposé, la Sœur donne le commentaire du huitième chapitre du livre des Proverbes, où elle montre l’idée du Christ et de sa Mère conçue dans la pensée divine avant celle des autres créatures. Elle explique ensuite l’économie de l’Incarnation, dans l’hypothèse que l’homme n’eût pas péché. Venant alors à la création, elle enseigne que les anges ont été tirés du néant lorsque lieu dit : « Que la lumière soit ; » et que la séparation des bons et des mauvais esprits eut lieu au moment où, comme le dit Moïse, Dieu sépara la lumière des ténèbres. Les anges furent peu de temps dans l’état de l’épreuve. Dieu leur révéla le mystère de l’Incarnation, et le devoir qu’ils auraient de révérer non-seulement sa divine essence, mais l’humanité du Verbe, et de reconnaître la Mère de l’Homme-Dieu pour leur reine, supérieure à eux tous par les dons de la grâce. Ici la Sœur expose le beau passage du chapitre douzième de l’Apocalypse, où paraît la femme revêtue du soleil, ayant la lune sous ses pieds, et autour de sa tête une couronne de douze étoiles ; puis la rage du dragon contre cette noble et glorieuse créature, le combat livré entre les Anges et la chute de Lucifer. L’archange Michel, vainqueur principal dans cette lutte formidable, est signalé comme devant être désormais, avec. Gabriel, le rapide et puissant messager du Verbe incarné et de sa Mère.

Ce fut dès le dimanche, premier jour de la création, que les anges rebelles commencèrent à s’opposer à Dieu et à former leurs complots contre le Christ et la femme à jamais bénie. Le lendemain, leur révolte fut punie à jamais. Les deux jours suivants, ils délibérèrent, dans leur envie, sur les moyens de nuire à ces deux objets préférés de la toute-puissance divine, et il leur fut permis de les soumettre durant un temps à la tentation. Cependant, Dieu avait poursuivi la création des êtres matériels, en vue principalement du Christ et de sa Mère, et médiatement des autres hommes. Le sixième jour, il forma Adam sur le type du Christ futur, et Eve sur celui de Marie, telle qu’elle était figurée dans sa pensée divine. Il daigna se complaire dans ces copies d’un original qui devait être le chef-d’œuvre de sa puissance et de son amour, et les combla de ses grâces les plus choisies. L’envie de Lucifer monta à son comble contre ces deux êtres privilégiés, et il crut d’abord qu’Adam était le Christ et Eve sa Mère. Après leur chute, il se laissa aller à une joie féroce qui se transforma bientôt en dépit, quand il vit qu’ils avaient recouvré la grâce divine par la contrition.

La Sœur parcourt ensuite les ligures prophétiques de la loi, à l’aide desquelles Dieu montre la persévérance et l’unité de ses desseins. Enfin, le monde était arrivé au plus haut degré de sa corruption, et semblait défier la justice divine ; c’était le moment que Dieu avait choisi pour faire éclater sa suprême miséricorde. Joachim et Anne habitaient à Nazareth de Galilée ; Gabriel est envoyé vers l’un et l’autre, et prépare leur union ; mais vingt ans s’écoulèrent, et cette union demeurait toujours stérile. Un nouveau message de Gabriel vient annoncer aux deux époux que leur stérilité va cesser ; et bientôt ils auront une fille, que cette fille sera illustre et remplie de l’Esprit-Saint, et qu’ils devront, dès son enfance, l’offrir à Dieu dans le temple. Anne seule fut avertie par l’Ange que cette fille de bénédiction était appelée à devenir la Mère du Messie. Cependant, l’auguste Trinité se dispose à créer l’âme bénie destinée à animer l’admirable créature que le sein d’Anne doit concevoir. L’honneur de Dieu exige que la grâce y soit répandue avec une abondance proportionnée au rôle que doit remplir celle qui sera la propre Mère du Fils de Dieu. L’immensité des dons destinés à tant de millions d’anges et d’hommes qui ont mérité la réprobation sera versée en elle, comme supplément aux grâces qui lui sont préparées, afin que le Très-Haut ne soit pas frustré de la gloire qu’il attendait de son œuvre.

Dieu déclare aux saints Anges que le moment est venu où cette œuvre va recevoir son complément primordial. Mille de ces esprits bienheureux recevront la garde de sa créature privilégiée. Elle est enfin conçue par l’heureuse Anne en la manière des autres sujets de l’espèce humaine ; mais la convoitise de la chair ne vient pas mêler son imperfection dans ce moment solennel de la vie des deux saints époux. C’est en un jour de dimanche que commence l’existence de la Mère de Dieu ; le samedi suivant, l’âme est créée et unie au corps. C’est l’instant sacré que l’Église appelle la Conception immaculée. En créant cette âme, Dieu dit : « Faisons Marie à notre image, afin qu’elle soit notre Epouse et la Mère de notre Fils unique. » A ce moment, une grâce supérieure à celle que Dieu a placée dans tous les êtres appelés à l’état surnaturel inonde cette âme bénie, et on entendit la voix de Dieu qui disait « que ceci était bon. » Anne fut ravie en extase à l’instant où l’âme de sa glorieuse fille venait animer le corps qui lui était destiné, et cette sainte ivresse dura les neuf mois qu’elle porta en elle ce précieux dépôt.

Marie, au sein de sa mère, jouit dès ce premier instant de l’usage de la raison ; les vertus théologales et morales lui furent infuses dans une plénitude incomparable ; la science universelle éclaira son intelligence ; l’essence divine lui fut manifestée, quoique dans un mode distinct de la vision béatifique. L’enfant éclairée de si ineffables lumières adora profondément la divine majesté qui la comblait de tant de faveurs. Tout le passé du genre humain lui étant révélé, la chute d’Adam lui fit verser d’abondantes larmes ; elle implorait avec ardeur le salut de sa race, ignorant encore, et pour longtemps, qu’elle devait être elle-même l’instrument nécessaire de ce salut. Ici, la Sœur s’arrête pour donner l’interprétation du chapitre XXI de l’Apocalypse, où l’on voit la nouvelle Jérusalem descendre du ciel, parée comme une épouse pour son époux ; c’est la prophétie de l’Immaculée-Conception, l’inspiration du sublime tableau de Murillo.

Cependant, Lucifer qui savait que le temps de la divine incarnation était proche, parcourait la terre afin de découvrir si la femme dont il avait autrefois vu le signe dans le ciel avait paru. Anne fut l’objet de ses embûches, durant sa grossesse, parce qu’il avait remarqué en elle des traits particuliers de sainteté, et que des anges paraissaient près d’elle quelquefois ; mais les efforts du serpent infernal furent sans résultat. Marie naquit le 8 septembre, à minuit. Anne l’offrit aussitôt à Dieu pour être le tabernacle vivant de son Fils incarné. A son entrée à la lumière, l’enfant fut saisie d’un ravissement qui l’enleva longtemps à tous les objets sensibles. A ce moment solennel, aurore du salut des hommes, les saints anges exécutèrent près de la fille et de la mère les plus merveilleux concerts. Aussitôt Dieu envoie Gabriel aux limbes, annoncer aux justes qui y sont détenus la naissance de la Mère du Messie. En même temps, il donne ordre à d’autres anges d’enlever du ciel, pour quelques instants, l’enfant nouvellement née. Marie adore profondément l’essence divine, dont elle obtient la vision passagère. Dieu la fait asseoir à ses côtés sur son propre trône, afin de montrer qu’il lui a donné empire sur toutes créatures. L’enfant profite de ce moment de faveur pour demander l’accélération du salut du monde par l’incarnation ; elle apprend que l’accomplissement de l’antique promesse ne doit plus tarder longtemps. L’auguste Trinité décrète que l’enfant recevra le nom de Marie, et que ce nom sera pour tous ceux qui l’invoqueront avec amour et confiance une source de consolation et de salut. Mais il est temps que Marie soit rendue à sa mère. Les saints anges l’enlèvent respectueusement et la rapportent entre les bras de sainte Anne. Huit jours après, un nombreux cortège d’esprits bienheureux redescendait du ciel portant un écu splendide sur lequel brillait le nom de Marie. Anne, avertie du dessein céleste, déclare à la famille que tel est le nom que doit porter son heureuse fille, et la future Mère de Dieu s’appelle désormais Marie sur la terre comme au ciel. La Sœur ayant demandé à notre grande Reine comment elle avait pu ainsi pénétrer jusque dans le ciel avant que le Rédempteur en eût ouvert les portes, Marie satisfit à cette question en lui disant que le ciel ne demeurait fermé qu’à ceux qui avaient contracté le péché d’origine.

Viennent ensuite les récits de la purification de sainte Anne, Le grand-prêtre Siméon reçoit l’enfant dans ses bras avec une vive consolation, sans être encore averti de ses destinées. Anne renouvelle le vœu qu’elle a fait d’offrir sa fille au temple, quand elle aura atteint l’âge de trois ans. Lucifer, témoin de la purification de la mère, se rassure en pensant qu’elle n’a dû mettre au jour qu’une enfant ordinaire, puisqu’elle s’assujettit à la loi comme les autres femmes. La Sœur donne ensuite divers détails sur l’enfance de Marie. La Reine du ciel a souvent pleuré dans son berceau, à la pensée des péchés des hommes, et en implorant l’avènement du Messie. Son sommeil n’interrompait point les actes d’amour qui s’échappaient sans cesse de son cœur. Elle souffrait la faim et la soif comme les autres enfants. Les langes qui l’enveloppaient ne lui furent pas pénibles, parce qu’elle savait que le Verbe serait lié dans sa Passion. S’il arrivait qu’on lui rendit pour un moment l’usage de ses bras, elle les étendait aussitôt en forme de croix, pensant à son bien-aimé, qui devait mourir en cette situation. Les anges de sa garde se montraient souvent à elle tout resplendissants d’un éclat sans pareil. Ils portaient une devise ainsi conçue : « Marie Mère de Dieu ; » mais l’enfant n’en pénétrait pas le sens, et les anges ne le lui expliquaient pas. Marie s’entretenait avec eux dès sa naissance ; mais avec les hommes, même avec sa mère, elle ne parla qu’après un an et demi, voulant tenir secrètes, autant qu’il lui était possible, les hautes faveurs que Dieu lui avait faites dès le sein maternel. Sa première parole entendue par les hommes fut pour demander à ses parents leur bénédiction. Toute enfant, elle eût voulu prendre part aux soins les plus pénibles du ménage ; mais ses parents ne le lui permettaient pas ; quelquefois elle s’y livrait avec le secours de ses anges. Quand on dut la vêtir, elle demanda à sa mère des habits d’une étoffe vile et grossière ; mais, cette demande faite, elle se soumit en cela, comme en tout le reste, aux volontés maternelles.

Lorsque la troisième année fut commencée, Joachim et Anne conduisirent leur fille au temple pour y être présentée au Seigneur. Le transport de l’arche sainte dans la maison de Dieu bâtie par Salomon avait été la figure de ce qui s’accomplit en ce jour. Au moment où Marie, que sa mère tenait par la main, entrait dans l’enceinte du temple, une lumière inaccoutumée éclata tout-à-coup et une voix se fit entendre qui disait : « Viens, ma fiancée, mon élue, viens dans mon temple » La jeune fille franchit les quinze degrés après avoir dit adieu à ses parents et leur avoir demandé leur bénédiction. Le grand-prêtre Siméon la confia aux femmes qui avaient la charge d’élever jusqu’à l’âge nubile les jeunes filles ainsi offertes. Parmi ces femmes était Anne-la-Prophétesse. Peu après son entrée dans le temple, Marie fut pour la seconde fois enlevée au ciel par les anges, où elle jouit encore quelques instants de la vision de l’essence divine. Dieu lui ayant parlé des trésors qu’il destine à ceux qui l’auront aimé, Marie demanda pour son partage les peines et les afflictions de la vie, en lesquelles l’amour s’exerce davantage, et elles lui furent accordées. Elle proposa ensuite d’offrir à la divine Majesté les quatre vœux de pauvreté, de chasteté, d’obéissance et de perpétuelle clôture dans le temple. Dieu lui répondit qu’il agréait seulement le vœu de chasteté ; que, quant aux trois autres vertus, elle pourrait s’y exercer librement. Alors Marie émit en présence de la Divinité le vœu de chasteté perpétuelle, et forma la résolution de renoncer à tout attachement humain et d’obéir à toute créature à cause de Dieu. Tout aussitôt les séraphins la revêtirent d’une parure splendide et des joyaux les plus précieux, et la Sainte-Trinité lui plaça sur la tête la couronne d’impératrice. La robe de la jeune fille était d’une blancheur éblouissante, et on y lisait en lettres d’or ces paroles : « Marie, fille du Père éternel, Epouse du Saint-Esprit, Mère de la Vraie-Lumière. » Mais l’humilité de la Vierge l’empêchait d’approfondir cette prophétie de ses destinées. Alors le Très-Haut l’accepta pour son épouse et lui donna la disposition de toutes ses grâces, lui commandant de demander tout ce qu’elle souhaiterait. Marie alors implora de nouveau la venue du Fils de Dieu sur la terre ; elle demanda à Dieu de bénir ses parents, de consoler les pauvres et les affligés, et pour elle-même d’accomplir toujours avec plus de plénitude le bon plaisir de son Créateur ; après quoi les anges la reportèrent à l’endroit du temple d’où ils l’avaient enlevée.

La Sœur expose ensuite dans un grand détail les vertus qui se développèrent en Marie, et qui rendirent son âme la plus complète et la plus fidèle de toutes celles que Dieu a créées et aurait pu créer. Toute cette partie est d’une grande beauté ; mais l’analyse nous conduirait trop loin. Le récit reprend à la mort de saint Joachim, qui eut lieu six mois après l’entrée de Marie dans le Temple. Le cœur de la jeune fille souffrit durement en cette épreuve, mais elle sut concilier d’une manière ineffable la tendresse filiale avec la soumission la plus tranquille à la volonté divine. Elle envoya ses anges auprès de son père mourant, et le vieillard apprit d’eux, avant de fermer les yeux, que sa fille serait un jour la Mère du Fils même de Dieu. Joachim avait atteint sa soixante-neuvième année ; il avait vécu vingt-trois ans avec Anne, dont les soins l’entourèrent à son lit de mort. Cependant Lucifer, inquiet de l’éclat incomparable que jetaient les vertus de Marie, conçut la crainte qu’elle fût cette femme dont l’apparition était depuis plus de quatre mille ans la terreur et l’attente des démons ; il se tint un conseil des esprits infernaux, et il fut résolu d’attaquer cette vertu qui semblait si inébranlable par le moyen des persécutions domestiques. Les compagnes de Marie se sentirent dès-lors excitées à contrarier, à diffamer en toutes choses la plus sainte des créatures, et Dieu permit que ces cruelles machinations eussent un plein succès auprès des prêtres et des personnes préposées à l’éducation des jeunes filles du Temple. En même temps, Dieu avait soustrait à la Vierge déjà si affligée toutes les consolations intérieures dont elle avait été jusque-là inondée ; et cet état d’épreuve dura près de dix années, durant lesquelles les vertus de la future Mère de Dieu prirent un essor nouveau et la rendirent plus digne encore de sa sublime destinée. Elle avait douze ans lorsque ses anges lui annoncèrent la mort prochaine de sa mère. Cette nouvelle fut vivement sensible au cœur si tendre de la jeune fille ; afin d’en adoucir un peu l’amertume, Dieu commanda aux anges de transporter Marie près de sa mère mourante, tandis que l’un d’entre eux tiendrait, sous ses traits, sa place dans le Temple. La scène des adieux de la fille et de la mère est d’une beauté incomparable. Anne s’endormit doucement dans le Seigneur, entre les bras de sa fille ; mais Dieu ne permit pas qu’elle révélât à celle-ci le secret des honneurs qui lui étaient réservés. Selon Marie d’Agréda, sainte Anne vécut cinquante-six ans, et elle en avait vingt-quatre quand elle épousa saint Joachim. La Sœur rappelle en cet endroit le sentiment de ceux qui ont écrit qu’elle aurait été mariée trois fois ; mais elle déclare, sans combattre formellement ce sentiment, que rien de semblable ne lui a été manifesté.

La mort de la pieuse Anne fut pour Marie l’époque où elle devait recouvrer les consolations divines dont elle était sevrée depuis si longtemps ; car le grand mystère allait bientôt s’accomplir. Dieu, qui ramenait vers elle le torrent de ses grâces sensibles, lui manifesta tout à coup qu’elle devait prendre un époux. La Vierge, fidèle comme Abraham, abaissa sa raison et sa volonté devant la raison et la volonté divines, et se confia au souverain pouvoir du Très-Haut, qui avait reçu et agréé son vœu de virginité. En même temps, Siméon recevait du Ciel l’ordre de réunir le conseil des prêtres, afin de choisir à Marie un époux. Il fut convenu de rassembler tous les jeunes hommes de la tribu de Juda. Parmi eux était Joseph, originaire de Nazareth, âgé de trente-trois ans, homme d’une grande modestie, et qui avait, à l’âge de douze ans, fait le vœu de garder la chasteté. Le grand-prêtre remit à chacun des aspirants une branche d’arbre desséchée, annonçant que celui entre les mains duquel cette branche viendrait à fleurir serait l’époux de la fille de Joachim. Le rameau échu à Joseph se couvrit tout aussitôt de fleurs, et en même temps une colombe parut sur la tête de cet homme juste. Il fut proclamé l’époux de Marie. La Vierge venait d’achever sa quatorzième année : les épousailles furent célébrées le huit septembre, qui était le jour anniversaire de sa naissance. Joseph ne tarda pas d’emmener son épouse à Nazareth, et ce fut là qu’ils se communiquèrent le vœu secret qui les liait l’un et l’autre à la chasteté. Une tendresse respectueuse s’établit entre les deux époux ; mais Joseph était subjugué par la majesté de son épouse, bien qu’il ne connût rien encore ni des grâces que Dieu avait déployées en elle, ni des honneurs qui lui étaient préparés et dont l’éclat devait rejaillir jusque sur lui. Marie et Joseph s’occupèrent à Nazareth de recueillir la succession que Joachim et Anne avaient laissée ; ils en firent trois parts : la première fut offerte au temple, la seconde fut distribuée aux pauvres, et la troisième fut remise à l’administration de Joseph. Celui-ci demanda ensuite à Marie si elle agréerait qu’il exerçât l’état de charpentier, qu’il avait appris dans ses premières années ; la Vierge y donna son consentement, non dans le but d’augmenter l’aisance de la maison, mais afin de pouvoir secourir les pauvres. Il y eut une lutte entre les deux époux, à qui obéirait à l’autre. L’humilité de Marie l’emporta ; la Vierge stipula seulement la liberté de faire l’aumône aux pauvres du Seigneur. Ici finit le premier livre de la Cité mystique. Marie d’Agréda le termine par l’explication du chapitre XXXIe du livre des Proverbes, qui contient le portrait de la femme forte, dont elle applique les traits à Marie, selon l’intelligence qui lui en a été donnée.

 

D[om] P[rosper] Guéranger.