Conférences sur la vie chrétienne – 12ème conférence

DOUZIÈME CONFÉRENCE.

SOMMAIRE

La tentation est promise par Dieu. — Ne pas la regarder dans tous les sens comme un mal, – C’est un fait ordinaire dans la vie chrétienne, — Deux sortes de tentations : les unes extérieures, venant du démon; les autres intérieures venant de nous-mêmes.

Des tentations du démon. – Remèdes : énergie dans le combat , espérance ferme.

Nous reprenons nos conférences sur la théologie ascétique. Nous en étions restés à l’exercice des vertus théologales, sans lesquelles le christianisme ne peut se développer à l’état pratique dans l’homme. Il les faut toutes les trois : la Foi, l’Espérance et la Charité. Mais c’est sur cette dernière que nous avons particulièrement insisté en établissant les différents degrés de l’amour de Dieu et la supériorité de cet amour sur les autres vertus théologales auxquelles, d’ailleurs, il doit survivre dans l’éternité. Dans la théologie mystique, nous verrons ce que devient cet amour dans les âmes arrivées à l’union. Ici nous nous occupons du disciple de l’Évangile dans sa marche ascendante vers Dieu.

MAIS faisons de suite une digression, sauf à revenir plus loin sur ce sujet. Le temps où nous sommes, l’Évangile que nous lisions dimanche dernier, nous ouvrent une voie pour développer notre sujet sur un point particulier.

LES vertus théologales ne suffissent pas ; il faut encore les quatre vertus dites cardinales, lesquelles peuvent être naturelles et surnaturelles. Mais la digression que nous voulons faire peut être placée sans inconvénient avant ou après ce que nous aurons à dire sur ce sujet.

DANS l’Oraison dominicale, Notre Seigneur nous traçant l’idée que nous devons nous faire de la marche de l’âme vers sa destinée, nous invite à confondre notre intérêt avec celui de Dieu par les trois premières demandes, et nous dirige vers nos propres besoins. Dans la quatrième demande nous demandons le pain quotidien corporel et supersubstantiel, parce que nous avons besoin de pain, non seulement pour notre corps, mais encore pour notre âme ; car  » non in solo pane vivit homo, sed in ommi verbo quod procedit de ore Dei.  »

Nous demandons ensuite le pardon dont nous avons besoin ; et le Seigneur ajoute :  » Ne nous induisez point en tentation.  » Il ne faut pas dire comme on le répète dans l’enseignement et dans tous les catéchismes de ce pays-ci  » ne nous laissez pas succomber à la tentation ,  » ce qui est un vrai contre-sens ; mais bien :  » ne nous induisez pas en la tentation ,  » ce qui n’est pas du tout la même chose. Par là nous demandons à Dieu de nous ménager du côté des tentations. Lorsque dans votre sagesse, votre justice, votre bonté, vous jugerez bon que nous soyons tentés, montrez-vous miséricordieux, Compatissez à notre faiblesse. Qu’y a-t-il donc au fond de cela ? C’est que la tentation vient de la permission de Dieu. Cela est si incontestable que l’ange Raphaël disait au fils de, Tobie :  » parée que tu étais juste et agréable à Dieu , il était nécessaire que tu fusses éprouvé par la tentation : a Quia acceptus eras Deo, necesse fuit art tentatid probaret te.  » Nous devons donc considérer la tentation comme une épreuve parfois nécessaire, et bien comprendre cette demande de l’Oraison Dominicale. Nous demandons à Dieu de nous ménager ; car plus la tentation est forte, plus nous courons de dangers. Mais la grâce nous étant donnée en proportion de la tentation , il ne faut pas la regarder dans tous les sens comme un mal. Et c’est pour cela que Dimanche dernier nous avons vu se dérouler cette grande page de la vie de N. S. où il a voulu être tenté, afin que nous ne nous découragions pas et que nous apprenions de lui la manière de vaincre. C’était une épreuve d’un moment que Notre – Seigneur souffrit avec patience ; et il domina son ennemi en opposant à ses propositions la volonté de Dieu. Il ne discuta pas ; mais il triompha du malin avec calme et l’œil fixé sur le précepte divin. Nous devons donc regarder la tentation, comme un fait ordinaire, et la fermeté qu’il faut déployer pour lui résister, comme une condition nécessaire dans la voie de la persévérance qui nous conduira à Dieu.

MAIS il y a des choses mystérieuses dans tout cela. Les gens qui n’ont pas la foi parlent des penchants, des déficits de la nature, qui rendent la vertu pénible, à certaines âmes. Oui , l’homme étant fini, sa vertu ne dépasse pas certaines limites; étant déchu, il a un penchant au mal. Mais outre ces difficultés, Dieu a jugé à propos que les esprits de malice agissent sur nous et viennent se joindre à notre esprit de faiblesse pour nous faire tomber. C’est un grand mystère ! Dieu l’a voulu ainsi, et nous le voyons dès la première page des annales du genre humain.

ADAM venait d’être créé, il habitait avec Ève le jardin des délices. La première chose qui se présente à nous, c’est la tentation offerte à nos premiers parents par l’esprit des ténèbres. Ils sont créés sans tache, beaux même aux yeux des anges; ils ont une épreuve .à subir, puis ils seront enlevés pour jouir de la vision béatifique. Et voilà que le diable se présente et cherche à renverser la femme poux arriver à l’homme.

Nous sommes donc bien avertis; nous n’avons pas seulement pour ennemis nous-mêmes et nos semblables, mais encore Satan qui a permission de faire contre chacun de nous ce qu’il a fait contre la première femme.

CERTAINEMENT nous ne sommes pas de taille à lutter surtout contre certains esprits très-grands, très-puissants et avec lesquels nous pouvons avoir à nous rencontrer. Cependant il faut se tirer d’affaire. Mais nous avons la foi et nous rencontrons un dogme sur notre chemin : nous savons que Dieu ne permettra pas que nous soyons tentés au delà de nos forces.

IL faut donc se résigner à être tenté par le démon, et cependant il faut que la vertu d’Espérance n’en souffre pas de diminution. Quand bien même les esprits de malice s’élèveraient contre moi des années entières, dit le psalmiste, je ne craindrais pas: Dominus luminatio mea, et salies mea, Querra iimebo? Deminus proteclar tanceIntir, a quo trepdabo?… ce qui est exprimé si magnifiquement dans bout le psaume.

IL faut donc s’accoutumer à cette considération que Notre Seigneur a voulu que le chemin de l’Éternité fût difficile, et que nous eussions des obstacles à vaincre pour y arriver. La raison en est que, dans sa bonté gratuite, nous ayant élevés à une fin surnaturelle, il exige de nous des efforts méritoires. La grâce accompagne notre bonne volonté, mais il faut mériter la couronne.. L’Apôtre parlant le langage de son temps et faisant allusion aux récompenses données à ceux qui avaient remporté la victoire, désigne toujours l’Éternité sous le symbole d’une palme et d’une couronne.

Le chrétien doit donc considérer la vie comme une carrière. militante, comme une lutte contre les esprits de ténèbres. Les vies des saints nous révèlent des choses très-intéressantes à ce sujet : :prenez la vie de S. Antoine, par exemple. Mais enfin rien ne vaut que l’Evangile de dimanche dernier. Ainsi il ne faut pas croire que parce que l’on arrivera à un certain degré de sainteté, en ne sera plus tenté. Personne n’est plus saint que Notre Seigneur, et il a voulu être tenté.

Jusqu’ ici nous avons posé des principes de vie spirituelle très-simples et très-clairs ; tout semble il beau, si juste et si conforme à la raison, qu’on dirait qu’il suffit d’en avoir entendu l’énoncé pour arriver de plain-pied à la perfection. Mais non ; n’y arrive que par le combat, combat sérieux et d’autant plus difficile que nous avons affaire avec des ennemis forts et puissants, qui nous en veulent à cause de nous et à cause de Dieu, et qui ont des moyens que nous n’avons pas. Voilà la réalité.

IL faut faire attention que la tentation à laquelle nous sommes soumis se divise en deux sortes : les tentations du dehors et celles du dedans. On peut vaincre l’une sans triompher de l’autre et alors il n’y aura rien de fait, l’édifice sera renversé.

LA tentation du dehors, c’est la malice et l’effort du diable – pour nous jeter par terre. Saint Paul nous en donne l’idée lorsqu’il nous dit d’avoir le bouclier de la foi, le casque du salut, pour résister aux traits enflammés de l’ennemi. Ainsi c’est un siéges. Les pierres qu’on lançait dans ce temps là avec les balistes, voilà l’image de la tentation extérieure, voilà l’effet de la méchanceté du démon.

Mais il n’est pas seul. Il y a la qualité finie de notre nature qui fait qu’on rencontre assez vite les bornes de la valeur et du courage humains. Cela explique les dangers qui nous environnent. Mais en outre pax suite de la dégradation originelle, nos facultés ne sont plus également habituées au bien ; elles sont obscurcies par les ténèbres, nos sens ont une tendance à lutter contre l’esprit. Ainsi , il y a des raisons internes et externes de la tentation , il faut compter sur les unes et sur les autres. Même il peut y avoir alliance entre ces deux ennemis, de sorte que notre défaite est d’autant plus facile.

VOILA comment Dieu nous a placés dans un état de lutte et d’agitation continuelle, qui nous empêche d’arriver en paix à notre fin. Dieu l’a voulu ainsi , afin que nous eussions lutté et combattu avant d’être couronnés. Saint Paul dans son Épitre aux Éphésiens veut que nous soyons armés de pied en cap :  » State ergo succinuti Jumbos vestros in veritate, et induti loricant juslitire et calceati pedes…. in omnibus sumentes scutum jidei…. et galeam salutis assumite, et gladium spiritus (quod est verbum Dei.)  » Il ne veut pas que nous nous fassions illusion ; il faut lutter et comprendre l’importance que Dieu attache au combat , puisque dans les sept demandes de l’oraison dominicale, il en est une qui correspond à cette grave réalité de notre vie, à savoir que nous sommes appelés à être combattus. Aussi c’est une chose très-triste dans la direction des âmes de rencontrer de ces existences sans luttes, qui n’ont pas d’efforts à faire. Cela vient ou de ce qu’elles sont déjà en la puissance du démon, ou bien de ce qu’elles sont si faibles que Dieu ne veut pas les soumettre à des épreuves auxquelles elles succomberaient et dont elles ne se relèveraient pas. Les saints, nous le voyons par ceux dont la vie nous est connue d’une manière plus intime, ont toujours eu de très-grandes tentations, quelquefois pendant toute leur vie, souvent pendant des périodes plus ou moins longues, et cela sans aucun repos. Il en est toujours ainsi pour que Dieu fasse fond sur ces âmes.

Nous avons donc jusqu’ici présenté le côté riant ou facile des choses; mais ce n’est pas tout. Il faut, que le chrétien ait fait ses preuves et préféré Dieu à ses deux ennemis. Il faut lutter: nam et qui certat in agone, non coronatur nisi legitime certaverit ; » légitimement , c’est-à-dire selon la loi ; et Notre Seigneur ajoute :  » qui autem perseveraverit usque in finem , hic salons crut.  » L’on pense assez naturellement que la vie est courte, et il est heureux qu’il en soit ainsi. Nos intérêts sont entre nos mains. Moins la carrière est longue, plus on doit être content. La vie des hommes est très-raccourcie  » soixante-dix ans,  » dit le Psalmiste. Au commencement , ce n’était pas comme cela , et l’on voit que les hommes se lassèrent vite du combat. Toute chair avait corrompu sa voie. Ils jetèrent leurs armes, bien qu’ils eussent une grande connaissance de Dieu et qu’ils jouissent par anticipation de la grâce de la rédemption. Et ils se précipitèrent dans le mal. Il n’y a plus de ces longues carrières, et cependant l’homme se lasse encore. Il faut donc bien prendre garde au découragement , qui est très-contraire à la prudence et à la sagesse , et qui compromettrait tout. Résignons-nous à combattre jusqu’à la fin. Ne soyons étonnés de rien. De notre côté nous pouvons compter sur Dieu. C’est là que la vertu d’Espérance a son rôle et la confiance que nous avons dans la grâce qui ne nous manquera pas est la clef du salut de l’homme. Reposons nous sur la bonté de Dieu et sur sa justice. L’Espérance, Saint Paul l’appelle l’Ancre, l’ancre qui s’attache à la roche au fond de la mer pour que le navire ne s’écarte pas et ne se brise pas contre les écueils,  » anchora sepei.  » Les premiers chrétiens avaient bien compris cela, quand sur les tables des tombeaux, dans les catacombes, ils gravaient une ancre pour représenter notre vie sur la terre. Spes autem non confundit. C’est une grande chose que l’ancre de « Espérance. Allons donc de l’avant , nous appuyant sur elle avec du courage, de la bonne volonté, de la patience. Rappelons-nous la brièveté de la vie et que la grâce de Dieu nous mettra à l’abri des périls que nous avons à courir pendant cette vie mortelle.