Conférences sur la vie chrétienne – 13ème conférence

TREIZIÈME CONFÉRENCE.

SOMMAIRE.

Des tentations intérieures.

Leurs causes ; Contingence et déchéance de noire nature ; influence du physique sur le moral. — Différentes espèces de tempérament : nerveux, lymphatique, bilieux. — Avantages des tempéraments mêlés, excellence du nervoso-sanguin. — Difficulté particulière : formation première de l’âme.

DANS la dernière conférence nous avons posé une des questions les plus importantes pour toute la doctrine morale et spirituelle, à savoir la question de l’intervention de l’esprit malin autour de nous, de façon à nous entraver, à nous gêner par les tentations. Nous avons vu que c’était là une intention directe de Dieu, et non parce que nous sommes tombés, puisque nous voyons Adam et Ève innocents soumis à cette épreuve, et Notre- Seigneur lui-même, pour nous relever, a voulu être tenté, et subir le contact extérieur de l’ennemi.

Nous avons vu que l’action de Satan était seulement extérieure. Maintenant il y a des difficultés d’un autre genre il y a les tentations intérieures. A dire vrai, il ne faudrait pas employer le même mot pour exprimer cette nouvelle sorte de tentation, puisque nous nous en servons déjà pour désigner l’attaque extérieure. Enfin appelons ceci tentation intérieure ou tendance, peu importe ; toujours est-il que nous pouvons nous voir excités à penser, à sentir autrement que Dieu ne le veut de nous ; et qu’il nous faut bien compter que la vie spirituelle est un combat, et que les adversaires ne nous manquent pas dans cette lutte. Nos ennemis s’entendent entre eux, et ils ont ainsi des intelligences dans la place.

OR tout cela vient d’une cause que nous ne pouvons esquisser, c’est le fini de notre nature nui a ses bornes, après lesquelles il n’y a pour elles que le néant. Nous sommes des êtres contingents, et nous n’avons pas cette force essentielle qui ferait que nous pourrions nous maintenir par nous-mêmes. Les saints dans le ciel , eux , sont impeccables, mais c’est qu’ils sont captivés par la vision béatifique; et ils seraient , si j’ose dire, susceptibles de pécher , si un écran venait à s’interposer entre eux et la vue du Souverain Bien , car ils sont des êtres finis. Nous sommes des êtres bornés ; par conséquent le mal peut aisément prévaloir sur nous.

DE plus nous avons reçu une nature déchue plus ou moins incomplète, à, la suite d’un malheur qui a fait crouler tout l’édifice; et pourtant il faut marcher. C’est pour cela , comme nous l’avons établi au commencement , que la grâce médicinale nous a été donnée. Nous sommes dans la situation d’un habile musicien qui n’aurait à sa disposition qu’un instrument en mauvais état pour exécuter ses mélodies. Il faut que la grâce vienne nous donner de la souplesse et rétablir l’instrument, alors l’homme arrive à se sanctifier et à devenir agréable à Dieu. Ainsi nous sommes dans une situation inférieure ; la nature dont nous avons hérité n’est pas entière, « non intégra, sel lapa. n

SANS doute nous avons reçu le baptême qui nous a enlevé le péché d’origine, et nous a donné des droits magnifiques ; mais il a laissé en nous une inordination ; et pendant toute la vie, il nous faudra lutter contre la condition que le péché nous a. faite. Seulement cette lutte est d’autant moins pénible et laborieuse que nous avons été plus fidèles et que la grâce est entrée plus avant dans notre volonté .; en sorte qu’il arrive un moment où, comme le dit Saint -Benoît , « curriturn . Mais on n’arrive là qu’après beaucoup d’efforts dans les commencements ; et encore celui qui est arrivé en haut , trouve-t-il quelquefois de grandes épreuves qui le rendent ainsi plus digne de Dieu et des récompenses qu’il lui a préparées. Et ‘quelques-uns sont tombés

IL faut considérer tout cela pour voir clair. Une chose humiliante à dire également , c’est qu’en outre de cette condition de nature altérée, il y a encore un danger dans l’union de l’âme et du corps. C’est la même personnalité qui résulte de cette union , mais le corps influe sur l’âme en bien ou en mal , affirmativement ou négativement. Ce qu’il y a de bien certain , c’est que dans la vie spirituelle on ne peut pas faire abstraction du corps ; et que cette adition du corps sur l’âme, et réciproquement de l’âme sur le corps, est très-réelle. De là vient une dépendance qu’on appelle tempérament. Il y a des livres qui sont absurdes sur ce sujet ; faute de s’en être mis en peine , on donne des règles de vie ascétique dans lesquelles on suppose que tout le inonde peut faire la même chose ; aucune physiologie, de sorte que l’on s’expose à conduire les âmes de travers : car il y a là une variété immense. Aussi est-il indispensable, quand on a à conduire ries hommes, de connaître leur tempérament pour savoir ce qu’on en peut attendre. Il ne faut pas croire que tous sont égaux, parce qu’ils ont tous un nez, des bras et des jambes ; non, mais l’influence de la grâce se fait sentir en raison du tempérament. Le physique donne la clef de beaucoup de. choses. Tel a moins de liberté que tel autre, et par conséquent ses fautes ,sent moins graves. Tel a plus de facilité, il ne faut pas regarder ses vertus comme aussi méritoires que celles d’un autre. Il y a des hommes doués de tendances naturelles au bien, et d’autres au mal. Ce serait se bander les yeux que de ne pas tenir compte de cela.

IL y a une grande variété de tempéraments qui tous ont leur union sur l’âme. Il importe de mettre le doigt sur le tempérament de chacun ; par là on augure facilement de son passé, de son présent et de son avenir. Le tempérament sanguin sans mélange: donne de la lourdeur , de la pesanteur , peu d’élévation dans les choses de l’intelligence, peu de souplesse dans la volonté, et il apporte des dangers du côté des sens. Celui qui a le tempérament nerveux se jette dans les excès. Il n’est pas incompatible avec une certaine lucidité d’intelligence ; mais une force irrésistible le pousse à une activité folle. Il se dépense pour des choses qui n’en valent pas la peine. Pour lui , rien de plus insupportable que d’être contrarié en la moindre chose. Il ne regarde pas si ses idées sont d’accord avec la raison. Il ne réfléchit pas, il commence par agir et parler. Enfin ce tempérament entraîne facilement dans bien des difficultés ; il est souvent une source d’extravagances.

LE tempérament lymphatique, qu’il ne faut pas confondre avec le sanguin , lequel est difficile à assouvir , coupe l’énergie. La prédominance de la lymphe, d’où vient ce nom de lymphatique, rend l’homme petit , étroit , ennemi de l’anion , porté à la tiédeur et au repos, et conduirait à passer la vie d’une manière peu conforme à la vigilance demandée par Notre-Seigneur.

D’AUTRES sont sujets au tempérament bilieux. La bile sort du foie ne doit agir qu’avec réserve. Si elle l’emporte sur le sang en influence, elle a un effet presque irrésistible sur le moral. Je dis presque ; car ces nuances de tempérament ne sont que des tendances ; la volonté et la grâce sont toujours là pour réagir si les choses ne sont pas à propos. La bile prédispose à la tristesse, à la mélancolie, à la mauvaise humeur , au soupçon. Le bilieux oublie difficilement les injures, et il n’arrive à se garantir des effets de ces mauvaises tendances qu’au prix de grands efforts.

IL y a aussi les tempéraments mêlés, qui ont quelquefois plus d’avantages. Un surtout , le nervoso-sanguin , est recommandé par les physiologistes comme étant le plus avantageux. Il tempère l’impétuosité déraisonnable des nerfs par le sang , et par les nerfs il enlève au sang cette qualité bestiale si fort à craindre quand elle domine seule. Nous dirons donc du bien de ce tempérament nervoso-sanguin ; les physiologistes le regardent comme donnant un grand secours aux qualités naturelles, et il présente facilement le moyen de s’engrener avec la grâce. En lisant la vie des saints , lorsqu’elle est un peu détaillée, on découvre que leur tempérament nous donne la raison de beaucoup de faits. On voit les obstacles et les facilités que la grâce trouvait en eux. C’est une chose extrêmement aisée à sentir. De même quand on vit en société avec d’autres hommes, il ne faut pas grand temps pour reconnaître les caractères. Cette action se fait toujours sentir et il est facile de prévoir comment tel ou tel sera porté à se conduire en une circonstance donnée.

Nous avions parlé jusqu’ici de grandes choses, de la grâce, des vertus théologales ; mais il y a une disgrâce dans notre constitution , et il peut s’y trouver des idées fausses. Il y a l’action du physique sur le moral. Nous avons des habitudes, des préjugés, des défauts à redresser en nous, ce qui ne s’obtient qu’au prix d’un labeur considérable, Heureusement nous avons aussi de bonnes tendances naturelles, comme nous en avons de mauvaises. De ces dernières résulte une opposition à Dieu , une opposition à la loi qui est fixe :  » Lex Domini immaculata , convertens animas ; testimonium Domini fidele,sapientiam proestans parvalis . » Voilà ce sur quoi nous devons nous modeler ; considérant que ce n’est pas sans luttes , mais au contraire en combattant toujours , que nous arriverons à nous développer , à nous maintenir , et enfin à nous consommer en grâce.

Nous n’avons pas choisi la nature physique que Dieu nous a donnée. Nous avons donc passé en revue les divers tempéraments en remarquant que le mélange est possible à divers degrés, de même qu’il se rencontre des caractères tout d’une pièce.

VOILA la situation de l’homme. Dieu savait tout cela quand il nous donnait un tempérament qui nous aidait ou nous gênait; c’est le péché qui est la cause de ce désordre. Toutefois il ne faut pas nous inquiéter; on se sauve avec tous les tempéraments. Les uns ont plus à faire, les autres moins, c’est bien vrai ; mais tous peuvent arriver. Pour cela il faut faire attention, avoir l’œil ouvert pour voir le sentier, prier Dieu qu’il nous tire des difficultés, et correspondre à la grâce que Dieu nous donne pour nous tirer des écueils. Si nous considérons l’âme, il y a encore une chose à laquelle il faut prendre garde. C’est de rechercher comment en chaque homme, l’intelligence a reçu sa première formation. Des hommes se sont trouvés dans un milieu où tout a été contre eux. L’esprit a été faussé par des enseignements funestes, auxquels sont venus se joindre de mauvais exemples ; en sorte que tout a contribué à imprimer en eux des tendances qui les portent à tourner le dos à la vérité. Le physique est déjà pour beaucoup dans notre manière d’être; mais il faut tenir compte aussi du milieu dans lequel on a été élevé. La jeunesse, en effet, accepte facilement les idées qu’on lui inspire, et le jugement peut en être faussé ou amoindri. Il faut que dans la vie spirituelle l’esprit se redresse. En arrivant à l’âge de prendre un parti, d’entrer au service de Dieu, nous pouvons rencontrer des obstacles Particuliers résultant des modifications exercées sur nous par les circonstances. Deux hommes du même tempérament, mais élevés dans des milieux différents ne se ressemblent pas. Nous empruntons toujours beaucoup à l’enseignement et aux exemples qui nous entourent. Il suit de là que c’est une besogne difficile quand il s’agit de refaire un homme.