Conférences sur la vie chrétienne – 24ème conférence

VINGT-QUATRIÈME CONFÉRENCE.

SOMMAIRE.

Le Chrétien se maintient en relation avec Dieu par les Sacrements et la Prière. —De l’Eucharistie, principe vital de tout l’ensemble de la vie chrétienne. — Obligation de l’envisager sous ce point de vue. — Exemple de l’Église. — De la Pénitence ; sa nécessité après le péché mortel. — Importance de la confession des péchés véniels. — Les notions exactes sur le sacrement de Pénitence sont très affaiblies de nos jours.

LES sept vertus dont nous avons parlé constituent le disciple de Jésus-Christ dans son état conforme à l’intention de Dieu sur l’homme, et sous le rapport naturel et sous le rapport surnaturel.

MAINTENANT la grâce opère les vertus dans l’âme, elle en prévient les actes et les accompagne. Mais nous ne pouvons pas faire ici un traité de la grâce, et d’ailleurs nous en avons déjà parlé. Nous savons comment ce secours divin se marie avec l’activité humaine et opère le salut. L’Église a établi la doctrine sur ces deux points, en établissant contre Pélage la nécessité de la grâce et contre Baius la permanence de la volonté humaine. Ceci nous Mènerait trop loin ; mais, comme dit avec raison le père Faber, il est impossible de s’occuper de la vie spirituelle sans pénétrer dans les entrailles de la théologie. Cela est si vrai que quand Dieu élève une âme sainte, sans culture, dans les hauteurs de la perfection, il lui donne de la théologie.

ENFIN je suppose tout ce dont nous avons parlé jusqu’ici acquis du côté des œuvres du chrétien qui veut aller à Dieu. Nous ne parlons pas ici de la vie mystique, bien entendu. On peut se sanctifier sans cela ; tous n’y sont pas appelés ; tandis que pour la vie chrétienne tous nous y sommes appelés, et d’ailleurs elle renferme la perfection si nous y sommes fidèles. Laissant donc de côté l’action de la grâce, ( nous en avons parlé et nous en parlerons sans cesse ) il y a une chose dont nous devons nous occuper. Le concile de Trente, dans son savant catéchisme, nous enseigne qu’il y a deux moyens par lesquels le chrétien se maintient en relation avec Dieu alors le baptême : ce sont les sacrements et la prière, nous nous occuperons à notre point de vue de ces deux éléments. Nous parlerons donc de la pratique des sacrements, puis de la prière avec ses différentes formes et qualités selon les situations.

Nous sommes mis en rapport avec la rédemption de Notre-Seigneur par les sacrements. Par eux l’âme va tout droit à Dieu. Nous ne parlerons pas du baptême qui nous ouvre la porte à tous les bienfaits de Dieu. Le chrétien l’a déjà reçu, la plupart du temps sans même qu’il en ait eu connaissance dans le moment. La confirmation ne fait qu’un avec le baptême.

C’EST donc du troisième des sacrements qu’il nous faut nous occuper, sacrement qui a été posé comme le principe vital de tout l’ensemble de la vie chrétienne. Notre-Seigneur a prédestiné , préparé ce sacrement pour opérer le maintien, l’accroissement et la perfection de l’élément surnaturel dans les âmes.

DISONS d’abord que ce sacrement n’est pas comme les autres. Les autres sacrements en effet contiennent la grâce, celui-ci contient l’auteur même de la grâce , Il a pour résultat de consolider l’habitation de Dieu en nous  » mansionem apud eum faciemus.  » il y établit même la présence physique du corps de l’Homme-Dieu jusqu’à ce que les espèces soient consommées.

L’Eucharistie doit donc être considérée comme le point central, et comme au-dessus de la Pénitence dont nous parlerons aussi. Mais on ne doit pas supposer le péché qui nécessite la Pénitence ; voilà pourquoi elle ne vient qu’après. La Pénitence est un en cas ; et il y a des membres de l’Église qui n’ont jamais eu besoin d’y recourir selon l’institution directe et principale de ce sacrement , c’est-à-dire de se rejoindre à leur chef , parce qu’ils n’ont jamais eu le malheur de se séparer du Seigneur. C’est donc sur l’Eucharistie que nous nous appuyons principalement pour le maintien l’accroissement de la vie chrétienne. Or, pour que l’âme puisse profiter de cet auguste sacrement , il fait qu’elle en ait la notion , ce qui est malheureusement très-rare. Beaucoup de personnes considèrent la sainte communion comme un exercice de dévotion . Elles ne comprennent rien au saint Sacrifice de la messe et le mettent en comparaison avec un Salut , surtout s’il y a beaucoup de bougies et de fleurs, ou avec le mois de Marie. Sans nous occuper de ces enfantillages, supposons une âme éclairée par tout ce que nous avons vu jusqu’ici ; elle sait qu’une chose est requise pour être agréable à Dieu, c’est de lui être unie, d’être conjuctus Deo, et l’Eucharistie a été établie précisément pour opérer cette conjonction de l’homme avec Dieu ; et non pas pour être employée une fois mais souvent. C’est là le complément de la bonne volonté que N.-S. a mise dans l’institution de ce sacrement. Il aurait pu en borner la réception à une fois durant la vie , tandis ,qu’il lui a été agréable, il a voulu que cela pût se faire souvent. Pourquoi tant de largeur ? A cause de la limite de notre être, de la faiblesse de nos facultés et de ces rencontres fréquentes où il nous est possible de le perdre. Il fallait qu’il y eût proportion entre le mal et le remède.

Donc nécessité au chrétien de se dire : Je ne vaux qu’autant que je suis uni à Dieu par Jésus-Christ. Je dois donc faire que cette union soit solide et •permanente, et ce sera par la sainte communion, vu l’étendue -de cette parole  » qui manducat Meam carmen. . . in me manet. et ego- in eo, qui produit la compénétration du Créateur et de la créature, et fait que notre fin n’est déjà plus loin de nous; Mais nous établit en elle, en sorte qu’il n’y manque que la vision. Tout cela se produit quand les choses sont accomplies selon l’institution de Jésus-Christ.

DE là résulte pour quiconque veut progresser dans la vie spirituelle, l’obligation dé s’appuyer sur l’Eucharistie et de la regarder comme le centre de tout, au moyen duquel le chrétien obtiendra ce qu’il cherche. C’est ce que fait l’Eglise dans sa liturgie. Elle renfermé- en effet autre chose que le sacrifice de la messe ; il y a l’office divin qui forme autour du sacrifice comme un cercle pieux et religieux. La forme du service divin suppose le sacrifice. Et la participation au sacrifice est entourée elle-même du sacrifice de louanges qui accompagne le sacrifice de l’hostie. C’est à l’heure de tierce que S. Pierre ayant donné le baptême à trois mille juifs, célèbre le sacrifice, nous instruisant ainsi que toutes les œuvres ont pour centre l’Eucharistie.

UN autre côté à considérer pour le chrétien, c’est que dans la sainte communion l’homme aussi se donne à Dieu. Quand Notre- Seigneur a appris le Pater, il a d’abord posé ce qui regarde la gloire de, Dieu. Ce n’est qu’en suite qu’il nous est permis de songer à nos besoins. C’est l’hommage rendu à la gloire de Dieu qui nous ouvre ensuite les autres chemins. Voilà au point de vue de Dieu.

Mais au point de vue de la Vivification de l’âme, c’est Dieu qui se. Donne à. elle dans l’eucharistie la, fixant. dans sa fin, en lui donnant un renouvellement,. un asservissement de même nature et. proportionné à. l’a fin que le chrétien doit atteindre. Nous en disons assez, pour mettre, les choses à leur place, surtout avec les développements que nous avons donnés pendant l’octave du Saint-Sacrement.

La nécessité qu’il y a pour le chrétien c’est d’accroître sa vénération pour le sainte communion, de ne pas s’y habituer. Il faut en avoir faim, prendre garde à ce dégoût que ressentaient les Juifs pour la. manne  » nau;scae cibus iste.  » Si une aune restait froide ou indifférente- ou face de. telles merveilles, ce serait le signe qu’elle ne marche pas vers sa fin. Celui qui est bien dans la voie ne se repose que dans cette possession de son Dieu. Partout ailleurs il est plus ou. moins haletant.. Pour acquérir. les vertus, il faut faire des efforts- souvent héroïques. Où l’âme trouvera elle. le repos? Ce sera quand: le Seigneur est en elle par l’aliment divin. Il faut alors qu’elle en jouisse comme étant. le souverain bien qui lui est véritablement donné. Voyez dans le missel les admirables paroles que l’Église nous met sur les lèvres aux Postcommunions ; comme elles rendent bien ce. repos de. l’âme en Dieu. Nous ne trouverons nulle part une expression plus adéquate de ce que nous avons à offrir et à demander à Dieu dans ce mystère.

VOILA donc un point acquis. Maintenant il y a une seconde chose nécessaire- au chrétien pour avancer dans la voie. Étant susceptible de tomber dans le péché, nous avons besoin du sacrement de pénitence pour nous relever. Le sacrement de pénitence n’était pas usité des premiers chrétiens pour autre chose que les pêchés graves. On ne s’y accusait pas des fautes vénielles ainsi que Fénelon l’a fait remarquer dans un opuscule spécial ; il n’est de nécessité que pour le péché mortel.

PEUT-ON supposer que le chrétien tel que nous l’avons décrit jusqu’ici puisse tomber dans le péché mortel ? Oui ; mais s’il tombe dans la voie il faut qu’il se relève, qu’il se corrige par la pénitence.

MAIS en dehors de cette chute, le sacrement de pénitence est encore utile à tout homme parce que tous tombent dans le péché véniel; et Dieu a voulu que ces fautes légères elle- mêmes fussent l’objet de son sacrifice. l’Église depuis plusieurs siècles à attaché une grande importance à cette confession des péchés véniels. Les saints la pratiquaient fréquemment ; plusieurs même en ont eu l’habitude journalière, tant ils avaient l’idée de son importance. Le chrétien doit donc avoir un recours fréquent et très-respectueux au sacrement de pénitence, parce qu’il y a là un renouvellement de l’âme, une manière de refaire ses forces, une humiliation, un regret de ses fautes, surtout la grâce et la foi professée dans l’application des mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

M ms en quelle manière l’homme vraiment spirituel considérera-t-il le sacrement de pénitence pour confesser les péchés véniels, quels sentiments doit-il avoir pour se tenir dans l’intention du Seigneur instituant ce Sacrement et avancer par son moyen ? Une seule pensée peut empêcher la familiarité ; c’est de considérer les mérites du sang de Jésus-Christ ; c’est de considérer ce sacrement comme un bienfait de la Rédemption, sans y faire entrer des choses qui n’en sont pas. Les personnes pieuses depuis la déviation du XVII siècle s’habituent trop souvent à considérer le sacrement de pénitence comme un entretien pour parler de leurs âmes ; en sorte que l’absolution, c’est-à-dire ce qui vient des plaies du Sauveur, ce qui sauve, ce qui les blanchit, est très-secondaire pour elles et ainsi très-peu fructueux. A peine si la disposition requise est complète. On est préoccupé des réflexions morales, des conseils que l’on reçoit, et qui seraient tout aussi bien à leur place ailleurs, et trop souvent le sacrement lui-même est perdu de vue. On passe son temps à exposer ses fautes, et on se préoccupe peu du reste. On considère cette séance comme un exercice spirituel, et avec le peu d’instruction que l’on a aujourd’hui, il y a là un véritable danger pour la doctrine sacramentelle. Que le Seigneur ait ( car enfin c’est cela ) versé sur nous les torrents de son sang précieux, cela cent fois, mille fois ; et qu’il le fasse en proportion du regret de nos fautes, voilà à quoi on ne pense pas. On s’inquiète beaucoup plus de l’examen, et pourtant quand vous ne diriez que le quart de vos fautes vénielles, si vous avez une forte idée de la passion du Sauveur, c’est infiniment mieux. Mais aujourd’hui il y a une telle déperdition qu’on sait bien qu’il faut l’absolution, mais qu’on ne sait plus ce que c’est. Et pourtant quand on considère la profondeur du mystère, que sur la croix Notre-Seigneur verse son sang à flots, non seulement pour les péchés mortels mais encore pour les véniels, on ne devrait songer qu’au mystère de la Rédemption appliqué à nos âmes et recueillir les moindres gouttelettes du sang rédempteur. Ainsi nous serions lavés, fortifiés, baignés selon le but qu’a eu N.-S. Jésus-Christ.

DE notre temps il y a à faire sur les idées parce que la foi est en baisse. On est habitué à risquer les grandes choses pour ce qu’on croit être son petit profit personnel. Oh! ayons de la doctrine. Recommandons aux fidèles de penser que si leurs fautes sont légères, le sacrement de Pénitence n’en amène pas moins la dépense divine du sang d’un Dieu. L’âme alors est préoccupée de la vérité, elle ne confond pas le sacrement avec ce qui ne l’est pas, l’essentiel avec l’accidentel. Dans les premiers siècles on ne faisait pas ainsi de sermons. On observait les dispositions du pénitent, on relevait ses erreurs. Et les actes du pénitent étant posés, le sang du Seigneur rendait la vie et la beauté à son âme.

VOILA donc ce qui concerne ces deux sacrements. Ce n’est qu’en les considérant ainsi que l’âme arrive à bien saisir les deux mystères de l’Incarnation et de la Rédemption qui s’y trouvent: concentrés.