Conférences sur la vie chrétienne – 30ème conférence

TRENTIÈME CONFÉRENCE.

SOMMAIRE.

Conseils pratiques. — Sur quoi faut-il diriger l’esprit ? — Il ne faut pas résister à l’appel de l’Esprit-Saint. — Grave inconvénient des lectures faites à haute voix clans la pensée d’aider à la méditation. — Conséquence de la confusion faite entre la méditation et l’oraison. — De la préparation prochaine. — Quand et comment l’on doit s’aider d’une lecture. — De la lecture de l’Évangile. — Exemple tiré de S. Matthieu.

APRÈS avoir posé les principes, il est nécessaire que nous entrions dans certains conseils pratiques qui sont extrêmement utiles. Nous avons vu qu’il y avait des personnes incapables de méditer, quoique très-propres à faire l’oraison, comme il y en a d’autres qui: sont incapables de l’un et de l’autre. C’est un fait à constater. Mais toujours la disposition que demande Dieu en disant :  » Oportet semper orare  » reste possible dans la mesure du don que l’on a reçu, vu que cet état se rencontre dans toutes les classes d’individus, dans la proportion.de la grâce que Dieu donne. Nous avons légitimé la méditation en lui assignant pour œuvre de ramener les convictions dans l’intelligence. Nous avons montré les affections comme ayant mission de réchauffer le cœur à l’égard de Dieu, Nous avons établi comment le  » semper orare  » peut se raviver par un exercice spécial ; comment, à Solesmes, nous avons entendu cet exercice, respectant la liberté de chacun, et évitant la trop grande longueur ; mais aussi laissant à quiconque est appelé à plus d’union avec Dieu la facilité de s’entretenir avec lui selon l’appel de l’Esprit-Saint. Il nous resterait encore beaucoup à dire sur l’oraison , même en dehors de la contemplation, dont nous nous occuperons dans la théologie mystique ; néanmoins nous passerons maintenant à certains conseils pratiques de la plus grande utilité.

LORSQUE l’on se trouve placé dans un genre de vie où il y a un temps marqué pour l’oraison, ou à sen défaut pour la méditation, sur quoi faut-il diriger cet exercice ? Faut-il agir au hasard, ou bien attendre que Dieu nous appelle vers quelque chose ? Il est évident que cet exercice n’étant fait que pour raviver, pour fortifier l’âme, il doit porter sur les sujets propres à obtenir cette fin. Par exemple : on a senti un déficit dans l’âme ; on recherchera alors ce qui fait défaut, et une fois trouvé, on y reviendra jusqu’à ce que le vide soit comblé. Pour cela, il y a avant tout une chose à poursuivre sans cesse, c’est de maintenir notre âme dans la grâce de Dieu. En outre, les touches du Saint Esprit nous avertissent à chaque instant de nos besoins, soit par quelques passages de l’office, soit par un exemple de la vie des Saints, par un conseil en passant, une rencontre que nous faisons, un sentiment qui surgit dans l’âme on ne sait comment, mais qui vient de Dieu ; tout cela doit être réservé, mis de côté par nous, afin de diriger notre attention de ce côté. Généralement parlant , il ne faut pas se mettre à méditer ou à faire oraison sans une intention non-seulement générale, mais spéciale. On y pensera plus ou moins longtemps à l’avance ; mais pour que cet exercice soit utile, il est bon que l’on ait choisi le sujet dont on doit s’entretenir. Je dis que c’est bon mais non pas nécessaire ; parce qu’il arrivera souvent lorsqu’une âme est suffisamment recueillie, que tout d’un coup Dieu l’attirera d’un autre côté que celui vers lequel elle pensait se diriger, en lui envoyant un rayon de lumière ou d’affection qui lui fera changer le sujet préparé. Il est clair qu’il ne faut pas s’opposer à la volonté que Dieu manifeste ainsi ; ce serait une grande maladresse de s’y refuser et de se dire :  » J’avais un sujet, je m’y tiens ; je sens bien que je suis attiré par autre chose, sans que je sache d’où cela vient ; ce qui est sûr, c’est que cela m’est soufflé.  » Vous comprenez que ce ne serait pas sensé d’agir ainsi. En effet, ce que l’on cherche dans l’exercice en question, c’est un colloque avec Dieu, c’est le moyen de raviver en nous l’esprit de prière ; du moment que l’esprit de Dieu nous attire vers tel ou tel sujet, le meilleur est de le suivre et de se tenir dans cet état de dépendance. C’est là que nous voyons le défaut des maisons ecclésiastiques et autres où l’on coupe la méditation par intervalles hoir placer les trois points d’une lecture. Il est certain que ces lectures faites devant un grand nombre de personnes sont des greniers à distractions et sont très-nuisibles à la plupart ; exceptent peut-être deux ou trois, qui sont incapables sans cela d’un:, idée quelconque, ou bien auxquels Dieu ne donne pas de pouvoir entrer dans telle voie de l’entretien avec lui. Nous n’avons pas, Dieu merci ! cette méthode là ; et je me garderai bien de l’introduire ici, tant que j’aurai l’autorité en main, parce qu’il n’y a rien de plus gauche que cette pratique. Dans les maisons où elle est en usage, on lit le soir un sujet, puis on le relit aux mêmes le lendemain, en trois parties. C’est dire aux gens : Vous êtes incapables de faire oraison, ; en tout cas, elle est dans le livre que je vais vous lire. Deux choses également absurdes. Ils sont incapables de faire oraison, qu’en savez-vous ? Ensuite que la méditation que vous allez lire leur convienne ; mais il n’y a pas deux personnes dont les dispositions et les besoins se ressemblent Prenez même un livre inspiré, comme le Psautier, très-peut iront chercher le même Psaume. Un même verset sera goûté diversement selon la grâce, les crises et l’état de chacun. On commence donc par forcer à la distraction les esprits qui sont déjà en rapport avec Dieu, en frappant leurs oreilles sur un ton assez monotone, par la lecture d’un sujet étranger. Ces pauvres gens tâcheront alors d’oublier ce qu’ils viennent d’entendre et de reprendre leur entretien avec Dieu. Mais à peine sont-ils remis, que voilà le même bonhomme qui se remet à redire des choses dont ils n’ont pas besoin. Ce n’est pas tout, il faudra qu’une troisième fois encore, l’esprit soit arraché à son objet. Et alors ces pauvres âmes ne pourront avancer que par la patience. Je ne vois pas autre chose qui puisse sortir de là. Et à mon sens, telle est l’explication du petit nombre de personnes qui s’adonnent aujourd’hui à ce saint entretien avec Dieu. Nous faisons faire une lecture à nos frères convers, parce que pour des esprits incultes, il vaut encore mieux cela que de les exposer à ne penser à rien du tout. Mais pour des prêtres, pour des religieux, pour des hommes capables de suivre une pente, il y a vraiment autre chose à faire.

VOILA encore ce qui se présente: par hasard le sujet convient; cela nous ferait grand bien d’y rester quelque temps, huit jours, peut – être ! Mais allez voir, l’image est là, il faut tourner la page. Alors l’attention est distraite, le commencement d’un dessein de réforme disparaît; on reprend le livre; c’est fini pour les bonnes impressions suscitées par ce sujet-là.

CETTE manière de faire a été amenée dans les communautés, parce qu’il y à eu des personnes qui ont dit: « Si on ne lit pas, je ne puis penser à rien.  » Mais encore faudrait – il songer aux autres!

C’est toujours la même confusion de l’oraison et de la méditation, dont la conséquence funeste est que l’on en vient à regarder comme sacrée une pratique qui est tout simplement un contre-sens. Car étant données des personnes qui se réunissent à une même heure pour s’entretenir avec Dieu, si les choses vont comme elles doivent aller, et si Dieu nous montrait les besoins de chacune, nous serions étonnés des différents états de ces âmes.

Je comprends encore qu’aux jours des plus grandes fêtes on indique un sujet commun. Il y a nécessairement, dans ces jours-là des aperçus qui conviennent à tous ; et encore, d’une pensée que vous livrerez ainsi à plusieurs, il n’y en aura guère à faire les mêmes applications. Mais que voulez – vous que l’on ait de commun par exemple pour un deuxième dimanche après la Pentecôte ? Je ne verrais de points de ralliement que pour les grandes fêtes où il y a nécessairement un pont qui domine.

C’EST ainsi que les choses doivent être envisagées, autrement il résulte de toutes les fausses notions répandues une véritable extinction de l’esprit de prière. Et il n’est pas rare de trouver des prêtres, des religieux qui ont toujours vécu régulièrement, et qui, après 50 ans, si vous leur demandez ce que c’est que l’oraison, sont incapables de volis le dire, car ils ne l’ont jamais faite. A quoi cela tient-il ? A là mauvaise manière de disposer les choses. Il n’y a rien qui sente la facture humaine dans l’oraison ; tout dépend de Dieu et des dispositions générales où l’on se trouve. Dieu n’est pas de commande, avons-nous dit, et tel n’aura pas l’esprit d’oraison parce qu’il est trop attaché à soi, qu’il a trop d’indépendance vis -à- vis de Dieu et de ses grâces, trop d’attache à sa volonté propre. Supposez au contraire une âme qui s’abatte auprès de Dieu se livre humblement à son action; vous la verrez monter vers Lui avec facilité. Combien ne trouve-t-on pas de personnes qui font ainsi oraison sans s’en douter ? Toutes ne sont pas sous l’habit religieux, il y en a dans toutes les conditions, même des plus vulgaires. Vienne un moment de loisir, ces âmes se fondent véritablement en Dieu. Telle est l’idée juste sur ce sujet, en dehors de laquelle on ne peut ni rien dire ni rien faire.

QUAND nous sommes délivrés de ces obstacles, je dirais volontiers de ce traquet, comment faut-il faire? Il est évident qu’il faut une préparation prochaine pour se mettre en la présence de Dieu, quand on n’y est pas préparé par un exercice antérieur ; car alors il n’y aurait qu’à continuer. Dans cette préparation prochaine entrent l’adoration et le sentiment qu’on a de ses péchés. Inutile pour cela de réciter tout le confiteor. Ce qu’il faut, c’est un état de contrition  » cor contritumt et humiliatum  » En général il faut dire que les prières vocales ne sont pas à leur place. Toutefois si on les fait avec un sentiment profond, elles sont bonnes, mais il faut autre chose à l’âme. Voilà donc le sujet qui se présente; on est en disposition de méditation ou d’oraison : que l’on suive ce que Dieu donnera sans chercher ailleurs. Le meilleur, c’est d’aller à Dieu de soi-même.

MAIS voici qu’on est entravé par la vivacité de l’imagination. Quelquefois ce sera un effet de tempérament , une épreuve; d’autres fois ce sera le résultat de négligences, d’une légèreté qui nous rend incapables d’aller à Dieu, comme nous venons de le dire. Que faire donc? Dans ce cas il est bon d’avoir un livre, un sujet choisi d’avance, ou même d’en choisir un tout de suite ,si ce choix n’a pas été fait auparavant. Mais lorsqu’on est tombé ainsi sur un sujet qui convient, il faut savoir s’y tenir. Si besoin en est, rouvrons notre livre ; mais pas de lecture suivie durant des semaines ; on pourrait par là se rendre incapable de l’oraison. Pourtant il ne vaudrait rien non plus de courir çà et là,. Car dans un tel mouvement l’accès devient difficile à la grâce, qui ordinairement ne veut de nous qu’une chose à la fois, soit qu’il s’agisse de nous amener au service de Dieu, soit de réveiller nos sentiments. Il vaut donc mieux revenir sur ce que l’on a déjà médité et s’entretenir d’une manière vocale de ce qu’on a ressenti le jour ou l’on avait un sujet profitable.

QUAND l’action du Saint-Esprit ne se fait pas sentir, il sera bon de prendre l’Évangile ; lorsqu’on le lit en esprit d’oraison , cette lecture peut produire les plus grands fruits. Mais pour cela il faut une réelle bonne volonté et un très-grand esprit de foi. Notre-Seigneur le dit lui-même :  » Verba mea spiritus el vita sunt.  » Nous ne sommes plus là en présence de l’homme, mais de Dieu de sa parole. A cause de cela il faut n’en lire qu’une portion minime et la faire entrer dans notre âme. Un verset, un mot quelconque sera suffisant. Si nous ne sommes pas nourris, ce sera de notre faute.

OUVRONS par exemple l’Évangile de S. Matthieu que nous suivrons. Nous avons le premier verset :  » Liber generationis Jesus-Christi, filii David, filii Abraham.  » Tout de suite le sujet est choisi, c’est le mystère de l’Incarnation : le Verbe se faisant homme, entrant dans la filiation d’Abraham, de David. Nous considérons le chemin qu’il a fait pour descendre jusqu’à nous. Toutes nos connaissances sur l’Incarnation doivent nous revenir ; la grandeur de Dieu, la petitesse des créatures. Avons-nous mis en rapport notre conduit avec la bonté de notre Dieu ? Si le Fils de Dieu redescendait sur la terre, que trouverait-il dans les hommes, en nous- mêmes ? Ensuite on défilera les généalogies pleines d’enseignements à chaque verset, mais que l’on passera plus vite si on a moins d’instruction. Alors on arrivera à Marie  » de qua natus est Jésus,  » on approfondira le rôle de la Sainte Vierge dans l’Incarnation, et ce nom humain du Fils de Dieu, Jésus; puis ce nom de Christ, c’est -à- dire Pontife et Roi. Toutes les aspirations suivent naturellement en face de tant de mystères d’amour ! L’âme qui sait qu’elle aura à. rendre compte de toutes ces grâces, se demande où elle en est; et pour peu que l’on ait de la bonne volonté, on est vite tenu en respect. C’est ainsi qu’il faut se graver l’Évangile dans l’âme; les lumières qui viennent de cette méditation restent ordinairement. Et on arrive alors à. cette transformation des facultés et de l’intelligence qui fait que les vérités surnaturelles occupent la place des pensées humaines.

AVANT d’aller plus loin, nous continuerons ces détails pratiques qui nous font entrer les notions et aident à mieux comprendre la doctrine générale.