Sur une réponse de l’auteur des considérations sur la liturgie catholique (3 juillet 1830)

Nous continuons à donner les pièces qui appartiennent à l’histoire de la lutte qui, en 1830, s’engagea à propos des nouvelles liturgies dans leurs rapports avec la liturgie romaine. Picot entretint la querelle. Voulant répliquer, il le fit sur ce ton offensé et personnel.

3 juillet 1830

Il a paru dans la Revue catholique du 15 juin une réponse aux observations que nous avions faites sur les articles relatifs à la liturgie, insérés dans le Mémorial. Cette réponse est de l’auteur même des articles sur la liturgie ; elle nécessite de notre part une courte réplique. Nous ne nous flattons pas d’égaler la fécondité de l’auteur, qui a consacré 23 pages à sa défense. Nous craindrions d’abuser de la patience de nos lecteurs, en les entretenant trop longtemps de ce démêlé, et nous nous bornerons à quelques points principaux.

L’auteur me reproche d’abord d’être descendu avec lui jusqu’à l’injure, et de lui avoir prodigué les plus grossières injures et les plus dures épithètes dans un style qui n’est pas celui de la
bonne compagnie. Effrayé de ce reproche, j’ai relu mes articles et y ai cherché vainement le ton de l’injure. Ce ton, j’ose le dire, ne m’est pas familier, et si je ne m’en suis jamais servi envers les hommes les moins recommandables, envers les ennemis les plus déclarés de la religion, comment l’aurais-je employé envers un écrivain dont je ne partage pas l’opinion, et qui a pu être entraîné par un peu d’étourderie et de présomption, mais que je ne puis soupçonner de mauvaises intentions ? Aussi qu’ai-je dit de lui ? Qu’il y avait dans ses articles beaucoup de prévention, d’exagération, que l’auteur avançait des choses fausses, que son ton sentait la déclamation. Est-ce là de l’injure et surtout de l’injure la plus grossière ? Nous serions bien heureux si la polémique des journaux n’était pas plus violente, et les ministres du Roi s’abonneraient bien à n’être pas traités plus rudement par les rédacteurs des feuilles libérales que l’auteur l’a été par moi.

Il prétend que, pour appuyer un peu mes invectives, je me suis amusé à noircir ses intentions, à falsifier ses paroles, à lui prêter des sottises. J’ai beau relire mes articles, je n’y trouve rien qui justifient ces imputations, qui me paraissent prouver seulement que l’auteur est fort susceptible sur ce qui le touche, et fort exigeant sur les égards qui lui sont dus. Il m’exhorte à renoncer à cette humeur inquiète et tracassière qui me porte à contredire, à harceler sans cesse tous ceux qui croient pouvoir faire quelques pas dans une carrière que, par un étrange monopole, je semble vouloir exploiter tout seul. L’auteur, à son tour, ne me prêterait-il pas des sottises ? Sur quel fondement peut-il me supposer l’idée de cet étrange monopole, ? Où et quand ai-je laissé percer cette prétention ? Ne peut-on trouver à reprendre dans le Mémorial, sans être taxé de jalousie ? Ce n’est pas moi qui ai tourné en ridicule, il y a quelques mois, les mandements de deux évêques, et plus récemment encore une circulaire d’un autre prélat. Il n’appartient guère à ceux qui ménagent si peu l’épiscopat de se plaindre d’être en butte à des invectives et à une humeur inquiète et tracassière ; c’est absolument le cas de celui dont il est parlé dans la parabole de l’Evangile, qui voyait une paille dans I’œil de son prochain et ne voyait pas une poutre dans le sien.

Ainsi l’auteur, qui a vu des injures grossières dans mes articles, est satisfait du ton des siens. C’est avec un sentiment pénible, dit-il, que je me suis vu contraint de vous poursuivre avec tant de rigueur ; si vous êtes équitable, vous conviendrez que je n’ai usé qu’avec modération du droit de représailles que le ton violent de vos articles me donnait sur vous. Je ne sais pas trop comment il se fait que celui qui avoue m’avoir poursuivi avec tant de rigueur se félicite ensuite de sa modération ; la rigueur et la modération me sembleraient s’exclure l’une de l’autre. je ne reprocherai point à l’auteur des injures grossières, ni un ton violent, je ne suis pas aussi susceptible que lui ; mais je lui reprocherai un ton de persiflage et de supériorité qui ne convient guère à son âge.

II est étonné, dit-il, de la manière leste dont je me suis exprimé sur le compte d’un prince de l’Église ; il n’est pas parlé une seule fois d’un prince de l’Église dans mes deux articles, et c’est l’auteur qui par bienveillance sans doute se mêle d’interpréter ma pensée avec ses conjectures. Il lui sied bien d’ailleurs d’être si sévère sur les égards dus aux évêques, lui qui leur fait la leçon dans tout le cours de ses articles, qui leur reproche les liturgies qu’ils ont données à leurs diocèses, et qui en désigne assez clairement quelques uns, en se moquant de leur opération. Comment un très jeune ecclésiastique ne sent-il pas que ce ton est doublement déplacé chez lui à l’égard des premiers pasteurs ?

Son but n’a point été, dit-il, d’inspirer des scrupules sur la récitation des bréviaires diocésains ; je le crois puisqu’il l’assure. Ce qui est certain, c’est que telle paraissait être son intention, et que la plupart des lecteurs en ont jugé ainsi. Quand on signale les nouvelles liturgies comme des entreprises coupables, quand on reproche à leurs auteurs d’avoir voulu se séparer du Saint-Siège, de s’être soustrait à la communion des prières catholiques, d’avoir rompu l’ombre d’unité qui existait encore, on a bien l’air de blâmer l’usage de ces liturgies, et il faut avouer que, si les nouveaux bréviaires nous privaient des avantages de la communion des prières, s’ils rompaient l’unité, il serait permis aux ecclésiastiques d’avoir des scrupules sur leurs usages. Aussi depuis l’auteur a-t-il cherché à adoucir un peu la sévérité de ses arrêts ; il déclare qu’en disant que, par les nouvelles liturgies on avait arraché aux fidèles l’ombre d’unité qui semblait exister encore, il n’a point prétendu parler de l’unité dans la foi, mais seulement de l’uniformité dans la liturgie. II faut avouer que cette explication était nécessaire, car on pouvait s’y tromper, et je n’avais pas fait l’anion d’un traître, en citant cette phrase, que je n’avais pas mutilée, comme l’auteur me le reproche, et en l’entendant dans le sens qu’elle présentait naturellement.

Pour prouver ce qu’il avait dit, qu’on s’était soustrait à la communion des prières catholiques, l’auteur cite la bulle de Pie V, qui blâme les évêques de faire chacun leur bréviaire ; ce qui est, dit le saint Pontife, discerpere communionem. Mais discerpere n’est pas tout à fait la même chose que se soustraire à la communion. L’auteur paraît plus fondé dans ce qu’il dit que la bulle est adressée à tous les évêques ; nous avions avancé le contraire sur la foi d’un auteur, sans prendre la peine de vérifier la chose.

L’auteur persiste à dire que, par les nouveaux bréviaires, on a répudié la Mère des Églises. De bonne foi, qui croira que les évêques aient cru répudier la Mère des Églises, parce qu’ils introduisaient quelques changements dans la liturgie ? Est-ce répudier la Mère des Églises que d’adopter une autre distribution des psaumes, que de prendre des leçons dans tel Père plutôt que dans tel autre, que de mettre en répons ce qui ailleurs est en antienne, que d’avoir des hymnes d’un style un peu moins simple et un peu moins inélégant ? car souvent les différences des nouveaux bréviaires avec le romain se bornent à cela, et l’auteur exagère sur ce point comme sur beaucoup d’autres, quand il dit que les changements vont jusqu’à effacer les dernières traces de l’ancienne ressemblance avec le romain. En comparant au contraire les deux liturgies, on y trouverait encore heureusement beaucoup de traces de ressemblance, et on se convaincrait que nos évêques n’ont pas eu, plus que M. de Vintimille, l’idée de rompre avec la Mère des Églises.

Je suis obligé de passer sous silence beaucoup d’autres points de détails sur lesquels l’auteur s’est appesanti. Écrivant dans un journal qui n’est pas resserré comme le nôtre, il a pu s’étendre à loisir et sortir même quelquefois de son sujet, au lieu que nous sommes contraint de nous renfermer dans les bornes les plus étroites. Nous ne saurions cependant nous dispenser de répondre à une singulière chicane. Dans notre premier article sur les liturgies, il était dit : Plusieurs papes travaillèrent à la rédaction du bréviaire romain, saint Damase, saint Léon, saint Gélase, saint Grégoire, Grégoire III, Adrien I. Il paraît que saint Grégoire abrégea beaucoup ce que Gélase avait rendu trop long, et c’est pourquoi on l’a appelé bréviaire. Grégoire VII le mit dans un ordre nouveau. Lecteur bienveillant, vous n’apercevez peut-être là aucun venin, mais l’œil perçant de l’auteur y a découvert une insolence et une bravade. Il se fâche contre moi, il me lance des apostrophes redoublées. De quel droit, dit-il, refusez-vous au grand pape Grégoire VII le titre de saint ? Quel peut être votre motif pour ravir un si beau titre à ce Pontife ? Que vous a donc fait saint Grégoire VII, pour que vous osier lui refuser insolemment le titre qu’il a mérité, et braver ainsi les décrets de l’Église. Ce n’est là que le commencement d’une mercuriale longue et sévère, où l’auteur tantôt me plaisante, tantôt s’indigne contre moi ; ma conduite est celle d’un janséniste, je suis inconséquent, et il me menace du courroux du ciel. II faut avouer que cet écrivain est un rude jouteur. Quoi ! tant de bruit parce que j’ai nommé une fois Grégoire VII sans lui donner le titre de saint ! Et l’on appelle cela de l’insolence ! En vérité, il faut être bien enclin à penser mal de son prochain. J’ai dit mon opinion en vingt endroits sur Grégoire VII ; dans les Mémoires sur l’histoire ecclésiastique au dix-huitième siècle j’ai parlé de ses grandes vertus, des services qu’il rendit à l’Église, de sa canonisation, de son office et de l’éclat que firent à cette occasion les jansénistes en 1730. Dans ce journal, j’ai répondu à quelques articles contre ce grand pape ; voyez entre autres, tome VII, page 232 ; et parce qu’il m’arrive de ne pas joindre à son nom l’épithète de saint, voilà qu’il pleut sur moi une grêle de reproches. Combien ne nous arrive-t-il pas souvent de nommer les Pères de l’Église, sans y ajouter le titre de saint ! Rien n’est si commun chez les orateurs et chez les historiens. Leur refusons-nous pour cela le titre qu’ils ont mérité ? Dans le même passage cité, je ne donnais point ce titre à Grégoire III, qui est cependant reconnu saint. Dans ce même article et dans le suivant, je ne le donne pas toujours à Pie V et à d’autres saints papes. Qui s’est avisé de s’en formaliser ? Il est assez clair que cette chicane de l’auteur est une petite vengeance dont il s’est donné le plaisir. Il prétendait que j’avais noirci ses intentions, il a voulu me le rendre ; seulement il a mal choisi son terrain.

Nous ne finirons point cet article sans remarquer que l’auteur abandonne ce qu’il avait dit des bréviaires mis à l’Index, il convient qu’il n’en à pu trouver la preuve. En revanche, il ne se rétracte point sur le singulier jugement qu’il a porté d’un passage de saint Augustin ; je persiste à croire que ce jugement est très peu respectueux, et qu’il n’appartenait point à un jeune ecclésiastique de traiter si lestement un si grand docteur ; c’est bien pis que Gros Jean qui remontre à sort curé.