Conférences sur la vie chrétienne – 23ème conférence

VINGT-TROISIÈME CONFÉRENCE

SOMMAIRE.

Résumé de la doctrine exposée jusqu’ici.—lies vertus -théologales.— Des vertus cardinales.—Beau spectacle qu’offre cet enchaînement doctrinal.— Pour le simple chrétien, ces sept Vertus doivent être l’objet d’une recherche constante, —Supériorité de l’enseignement chrétien sur les systèmes philosophiques du paganisme.

Nous avons terminé notre dernière conférence sur la vie spirituelle, en achevant ce que nous avions à dire au sujet de la Tempérance. Nous nous sommes arrêtés longtemps sur cette vertu, parce qu’elle offre matière à beaucoup d’enseignements sous le rapport pratique, et qu’à ce point de vue, les autres vertus ont moins d’extension dans leurs détails. Nous avons vu qu’il nous était impossible de nous avancer dans la vie spirituelle, sans cette vertu qui met chaque chose en sa place, sauvegarde l’homme des périls qui le menacent dans l’état présent où il est si facilement entraîné vers le mal, et même dans l’état primitif puisque nos premiers parents ont été chassés du Paradis terrestre pour avoir doublement péché contre la tempérance ; contre la tempérance de l’esprit en se laissant aller à l’orgueil , contre la tempérance des sens en mangeant du fruit défendu.

Nous avons donc fait le portrait du vrai disciple de J.-C. , en énumérant ces sept vertus principales qui sont comme les sept colonnes sur lesquelles il appuie l’édifice de sa sanctification . Nous. avons commencé par celles qui sont les plus excellentes, les vertus théologales, ainsi appelées parce qu’elles ont Dieu pour objet immédiat .

CONSIDÉRANT d’abord la foi et ses attributions , nous avons vu comment nous pouvons , bien qu’éloignés de Dieu , avoir une idée de la lumière au moyen de cette vertu qui imprime en nous les linéaments de ce que nous verrons sans voile dans l’éternité . Par la foi , nous croyons aux vérités que Dieu nous révèle ; nous ne les- voyons encore que comme à travers un nuage, mais l’objet de la foi et celui de la vision ne sont qu’une seule réalité, et , le nuage étant dissipé , nous verrons à découvert ces vérités connues ici-bas par la Foi , et elles seront éternellement notre béatitude .

Nous avons ensuite porté notre attention sur cet esprit de Foi qui doit sortir du la possession de cette vertu, et la rendre utile à notre conduite. C’est l’esprit de Foi qui doit sans cesse gouverner notre vie et qui fait de nous de véritables chrétiens. Car le chrétien c’est surtout celui qui croit, fidelis.

Nous sommes passé de là à l’Espérance. En considérant cette fin merveilleuse à laquelle nous sommes appelés et qui n’aura pas de fin, ce terme bienheureux qui n’aura pas de terme, nous avons vu l’obligation où nous sommes de nous reposer sur cette pensée: qu’un jour nous verrons Dieu tel qu’il est, et que quelles que soient les difficultés, nous devons mettre une foi inébranlable en Dieu qui ne nous refusera pas plus sa grâce ici-bas, qu’il ne nous refusera la récompense là-haut si nous avons été fidèles à la grâce. L’espérance devient ainsi le plus grand charme de notre vie. Car sachant l’engagement que Dieu a pris de ne pas nous abandonner si nous ne l’abandonnons pas nous-mêmes les premiers, nous sommes dans des conditions extrêmement heureuses. Quoique Dieu ne nous révèle pas si nous serons sauvés, il a trouvé le moyen de nous faire opérer notre salut avec crainte et tremblement, sans nous laisser aller ni à la présomption, ni à la défiance.

DE là nous sommes venus à la charité, cette vertu plus parfaite qui ne s’éteindra jamais. Nous avons vu son excellence, ses degrés; la différence entre les divers amours de reconnaissance, de préférence, de convoitise et enfin de bienveillance ; ce dernier plus généreux et plus élevé, qui est la charité proprement dite. Nous avons vu comment la charité parfaite n’exclut pas l’espérance, comment l’amour de convoitise et l’amour de bienveillance ne sont pas contradictoires, mais doivent au contraire coexister ensemble. et faut donc se garder des excès dans lesquels sont tombés certains théologiens , et suivre toujours l’enseignement de l’Église comme notre fanal . Le Catéchisme nous dit que nous ne pouvons pas plus nous sauver sans l’espérance que sans la charité. L’homme n’a donc pas le droit de faire le sacrifice de sa béatitude éternelle . La doctrine contraire est absurde , opposée à l’Écriture, et elle a été condamnée dans Molinos et Fénelon .

APRÈS avoir terminé cette longue investigation sur les vertus théologales, nous -n’ avons pas encore entamé les sacrements dont Dieu se sert pour nous initier, nous maintenir et nous consommer dans l’union avec lui; nous en avons fait abstraction parce qu’ils ‘se trouvent en quelque sorte inclus dans ce que nous avons dit, et que nous aurons à y revenir longuement quant à la pratique. Mais nous nous sommes demandé si les trois vertus théologales étaient suffisantes. Nous avons vu que non ; et nous avons énoncé quatre autres vertus absolument nécessaires à l’homme. Nous avons posé en principe que ces vertus qui ont trait à la moralité de nos actes, quoique n’étant pas d’une si haute dignité que les premières, et n’ayant pas comme elles Dieu pour objet immédiat, ne sont cependant pas en dehors de Dieu. Les philosophes anciens les avaient connues ; Aristote les avait réglées. Nous avons vu que l’homme pouvait se faire une idée, non de la foi, de l’espérance et de la .charité, mais de la prudence, de la justice, de la force, de la tempérance, y tendre même par des efforts naturels et malgré la chute; car la chute n’a pas entièrement détruit, mais affaibli seulement, ,nos moyens naturels ; et tout en lésant gravement la nature, elle nous a laissé cependant des forces pour le bien.

ENTRANT dans le détail, nous avons vu comment ces vertus philosophiques peuvent et doivent devenir vertus chrétiennes ; car elles nous sont recommandées par en qui elles ont brillé au plus haut point. Or J.-C. étant l’homme nouveau, le type sur lequel, nous devons nous former, il est évident que le chrétien en pratiquant ces vertus ne déroge pas. Il ne se sauverait pas en disant : je ne veux pratiquer que la foi, l’espérance et la charité. Aussi quand l’Église eux-même la cause des serviteurs de Dieu qu’il s’agit de placer sur les autels, elle s’enquiert non-seulement de la pratique des vertus théologales, mais aussi de la pratique des vertus cardinales,  » cum annexis suis.  » Car ces dernières vertus peuvent se subdiviser, différentes en cela des vertus théologales qui sont simples et ne peuvent se diviser. Celles-là s’appelleraient volontiers vertus humaines, si elles ne pouvaient pas se surnaturaliser et servir à notre sanctification.

APRÈS avoir vu les principes sur lesquels nous pouvons baser cette sanctification, nous avons examiné la vertu de prudence qui nous fait veiller à saisir ce qui est bon et à fuir ce qui serait contraire à la moralité de nos actes. Par elle, nous savons prévoir ce qui est avantageux à notre âme » et rompre avec ce qui ferait péricliter le bon principe en nous. Combattant ce qui mettrait obstacle au bien, nous évitons avec soin la précipitation, l’attache à nos propres idées qui nous jetterait dans de vains scrupules ; mais nous veillons aussi à ne pas nous laisser entraîner dans un excès de prudence nuisible au salut, à ne pas nous perdre dans une métaphysique à perte de vue qui n’est propre qu’à nous égarer. Les imprudents sont appelés dans l’Écriture, insipientes, c’est-à-dire fous et dénués de toute sagesse, parce qu’ils se jettent sans prudence contre les obstacles et s’y brisent.

PASSANT à la vertu de force, nous avons vu que l’homme doit être fort, qu’il ne doit pas céder aux difficultés qui surgissent devant lui, Dieu l’ayant ainsi disposé afin de lui faire mériter son salut. Il doit s’armer de courage, être toujours prêt à lutter ; sans quoi la pusillanimité, la lâcheté, la mollesse nous entraîneraient hors de la voie.

Nous avons ensuite considéré la vertu de justice. Nous l’avons appréciée comme une vertu très-noble qui nous fait rendre à chacun ce qui lui est dû. Aussi Dieu s’appelle-t-il le Juste ; il insiste sur cette vertu comme étant son essence même. C’est donc un grand honneur pour l’homme d’être appelé à pratiquer la justice. Nous avons vu que son premier devoir de justice envers Dieu , c’est l’adoration, la louange, l’action de grâces. Que pour le pécheur, la pénitence ( qu’il ne faut pas confondre avec la mortification ) est de justice, car son objet est de réparer l’honneur de Dieu et de remettre toutes choses à leur place par les œuvres de pénitence appelées pour cela satisfactoires. La justice envers le prochain consiste à ne pas léser ses droits. Car Dieu a disposé les choses de telle sorte, que si notre prochain est lésé, il se trouve lésé lui-même. Nous avons parlé de ceux qui gouvernent les aunes, de nos devoirs envers nos égaux, envers nos inférieurs, et nous avons vu comment la justice est impliquée en toutes ces choses.

Nous avons passé ensuite à la tempérance, et nous nous sommes longuement étendu. Car faute de cette vertu, on se laisse aller à des excès dangereux. Dieu nous a donné des facultés, il a créé en nous des tendances qui sont justes et vraies en tant que venant de lui ; il n’est pas contraire au bien d’en rechercher la satisfaction, quand elle est conforme à ce que Dieu a prescrit; mais il serait contraire à l’ordre d’en user sans les rapporter à Dieu, de les faire tourner centre lui en y mettant notre fin. Nous avons exposé toute la théorie à l’égard des sens et vu comment le chrétien qui a la vraie philosophie est dans une. situation noble et élevée. Car il est responsable ; il doit maintenir la paix en lui suivre l’Ordre des créatures, faire ce qui est bien , fuir ce qui est mal. Nous ne pouvons nous maintenir qu’avec la Tempérance, car elle réprime l’appétit concupiscible qui nous perdrait si nous le suivions dans ses écarts.

Nous avons vu que la Tempérance doit régler tout note être. Elle doit donc s’exercer aussi bien à l’égard de notre esprit qu’à l’égard de nos sens. Dieu veut que nous nous aimions, mais nous sommes très-disposés à abuser de cet amour de nous-mêmes. Dieu étant notre fin, notre raison d’être, nous ne pouvons pas trop nous aimer nous-mêmes quand nous voyons à ce point de vue ; mais si nous en faisons abstraction , nous tombons dans l’orgueil qui est un grand péché, parce qu’il est une révolte contre Dieu. Nous avons vu comment l’humilité est fondée en raison, comment elle est de notre part justice et vérité; et comment l’orgueil doit être tenu en bride , mortifié par . D’ou il suit que nous ne devons pas fuir les humiliations comme un mal , mais les regarder comme un bien, quand ‘elles nous arrivent, et nous persuader que Dieu nous rend service quand il nous les envoie; car nous périclitons dés que notre tendance à l’orgueil n’est pas réfrénée et rabaissée afin que le règne de Dieu s’accomplisse en nous.

TELLE est à peu près la marche que nous avons suivie dans ces conférences. Comment l’homme pourrait-il n’être pas saisi d’admiration en voyant la puissance de Dieu dans une simple créature ? Quel beau spectacle que celui de Dieu opérant ainsi la justice et la vérité dans l’homme ! faisant que Dieu soit juste et que l’homme soit juste, et que le même mot s’applique dans l’Écriture à Dieu et à l’homme ! Cette transformation merveilleuse de l’homme, ce sont les sept vertus avec leurs annexes qui l’opèrent. Par elles, l’homme nouveau, N.-S. J.-C. est représenté dans le chrétien qui a vraiment refait son être . C’est le triomphe de la grâce de N.-S. , le fruit de son sang. Il y a véritablement là de quoi nous réjouir .

Nous ne parlons pas encore de vie religieuse ; mais chrétiens, mais baptisés, nous devons faire de ces sept vertus l’objet d’une recherche continue. On peut dire qu’une âme qui les possède est dans un état de perfection relative, parce que nous sommes bornés dans nos opérations ; mais Dieu ne demande que ce que nous pouvons, non-seulement comme êtres bornés, mais selon l’état actuel de notre âme. Ainsi l’homme aura telle vertu, telle perfection cette année, qu’il n’avait pas il y a deux ans. Dieu ne nous demande pas compte de ce qu’il y a de moins avantageux dans notre nature, de ce qu’à tel moment il nous donne des grâces plus grandes, et qu’à tel autre elles sont moins intenses : mais il faut bien comprendre que Dieu qui veut le salut de tous les hommes veut aussi leur perfection ; et que si nous n’y arrivons pas, ce ne sera pas la faute de Dieu et nous ne pourrons pas lui en faire un reproche. L’homme est constitué par la bonté divine dans un état ou il peut se maintenir toujours, et s’il se maintient, il avance toujours et il arrivera.

Nous ne pouvons pas entamer autre chose aujourd’hui ; mais il m’a paru utile de résumer ainsi la doctrine chrétienne que nous avons exposée. En la comparant avec ce que la sagesse humaine a produit, avec les traités d’Aristote, de Platon, de Cicéron, de Sénèque, on voit que tous ces philosophes n’avaient que des lambeaux de vérité, encadrant souvent des vices honteux, de sorte qu’on est bientôt obligé d’en arrêter la lecture à cause des monstruosités qui s’y rencontrent. S’ils avaient été plus humbles ils auraient mieux vu; ils sont les pierres d’attente du Christianisme. Ceux qui les lisaient étaient entraînés par ce qu’ils trouvaient de beau à première vue dans cette lecture qui leur donnait sur la divinité des idées plus relevées que celles du vulgaire ; mais ce n’était que des bribes de vérités. Chez les Apôtres au contraire, quelle unité ! quelle harmonie ! Pourquoi ? c’est que tout y est centralisé en Dieu. Les Apôtres prêchaient une théorie toute conforme à la nature humaine, aidée de la grâce sans doute. Le vulgaire mais n’était pas dans ces conditions. On lui enseignait les stupidités de ses dieux, il s’en contentait. Mais quand arrivèrent les Apôtres prêchant le Verbe incarné, cette admirable doctrine d’un Dieu se communiquant ainsi aux hommes pour les faire participants de sa divinité, séduisit beaucoup d’âmes élevées que ne pouvaient satisfaire les doctrines creuses des philosophes ; on cessa d’ouvrir leurs livres qui su trouvaient dépassés ; on avait les deux testaments et en particulier les Évangiles, les Épîtres des Apôtres ; on les lut, on s’en nourrit et grâce à cela le christianisme s’implanta.