Conférences sur la vie chrétienne – 32ème conférence

TRENTE-DEUXIÈME CONFÉRENCE.

SOMMAIRE.

Utilité de la méditation au début de la vie purgative. Quelques mots sur l’opinion de S. Benoît à ce sujet. — Facilités que Dieu donne aux âmes généreuses à mesure qu’elles avancent dans la voie purgative. — Le don d’oraison signale l’entrée de l’âme dans la vie illuminative.

IL ne nous reste plus que quelques mots à dire pour conclure ce que nous avons établi antérieurement dans notre longue digression sur la méditation et l’oraison. Nous étions arrivés sur cet imposant .et très-pratique sujet par la nécessité d’expliquer la parole de N. S.: « Oportet semper orare et nunquam deficere  » Nous avons dit que pour que cette prière continuelle existât dans l’âme, pour que cette disposition à s’épancher avec Dieu fût sans trêve, il était nécessaire que notre entendement et notre volonté fussent tournés vers Lui, et que l’on trouvait un grand secours dans cet exercice spécial par lequel on se met à l’écart pour diriger toutes ses puissances vers Dieu.

LA pratique a montré que pour que l’entendement fût occupé de Dieu, il était nécessaire qu’on s’habituât à réfléchir aux choses divines en y appliquant l’intelligence; ceci est la méditation. D’un autre côté, il ne suffit pas que l’entendement seul soit occupé de Dieu, car ce pourrait être là simplement de la science, ce qui serait un mal à ce moment ; mais il faut que le cœur soit mis en jeu. Nous avons posé en principe que la méditation ne suffisait pas, mais qu’il fallait qu’elle tendit à l’union de la volonté avec Dieu et qu’elle se complétât par les affections. A ce propos, nous avons établi différentes règles, examiné différents systèmes, et dit en somme à peu près tout ce qu’on peut dire sur la matière.

IL est donc bien entendu que la raison de l’exercice appelé méditation ou oraison vient de ce que l’homme n’est pas suffisamment conquis à Dieu ; car alors il n’y aurait pas besoin de cette excercitatio humana  » dont nous parlons ici, et l’oraison se ferait toute seule. Il ne faut pas croire que les âmes arrivées au point où nous sommes soient bien élevées, nous sommes encore bien loin de la théologie mystique, laquelle est moins pratique, car les états d’âme qu’elle nous offre sont plus rares et le S. Esprit sait bien opérer lui-même. D’ailleurs nous n’en avons pas fini encore avec les principes de la vie chrétienne ordinaire. Il s’agira de revenir bientôt à S. Benoît qui prend sur toutes ces questions un point de vue tout-à-fait différent de la spiritualité moderne où l’on donne beaucoup trop d’importance à la méditation et à l’oraison prévue. S. Benoît suppose qu’on ne peut pas avoir besoin de la méditation, car la contemplation vient d’une autre source. A cause de cela, comme nous l’avons déjà noté en quelques mots, il veut qu’après l’office chacun sorte de l’Église, bien qu’il permette d’y rentrer pour prier le Seigneur avec larmes, si l’on y est attiré par le S. Esprit. Et quand bien même cette attraction serait moins puissante, nul doute que, dans une proportion restreinte, il n’y ait avantage à ces instants, une demi-heure par exemple, passés dans la méditation ou l’oraison, ou dans l’une ou l’autre à la fois, afin de se recueillir davantage. Si l’Esprit de Dieu poussait à faire plus, il faudrait se laisser aller à ces infusions d’amour, à ces affections excitées dans l’âme par lui, comme cela arrive dans tous les monastères. Malgré tout ,. la sagesse de S. Benoît laisse ceci en dehors. Il se garde de rien imposer de la sorte à une famille entière. Il nous laisse cette bonne liberté des enfants de Dieu, reconnaissant la diversité des esprits. Mais il place le point de jonction dans la psalmodie qui est le plus complet état de prière, quand l’esprit d’oraison s’y joint, et que l’âme y a été fidèle et attentive. D’ailleurs quand l’office divin est célébré avec beaucoup de pompe, il ne reste pas beaucoup de temps pour ces oraisons particulières. Aussi Saint Benoît ne veut pas en faire un exercice universel; car alors toute la journée serait prise. ; ô » pour la plupart, une chose ferait la guerre à l’autre. Cela rappelle l’histoire d’un jésuite qui donnait une retraite chez des Bénédictines. Il commença par dire à l’abbesse qu’il faudrait supprimer l’office divin pendant la retraite, car il n’y avait pas moyen de faire la méditation avec cela. Voilà où l’on en est ! Heureusement cette abbesse avait l’esprit de son état, sut bien dire que ce n’était pas possible. Mais quand des idées de cette nature s’expriment, c’est qu’on n’a plus les vraies notions. Telle a été la cause de l’extinction presque totale de l’esprit de contemplation dans l’Église. Il en est ainsi depuis le XVI siècle, où l’on a commencé a vouloir systématiser toute la spiritualité en substituant l’effort individuel a l’action du S. Esprit. Il est très-important de bien comprendre cela.

QUAND les auteurs spirituels traitent de l’oraison faite ainsi à une heure marquée, ils la considèrent comme propre à la vie purgative. Quand l’homme commence, il n’y a rien de plus nécessaire de plus indispensable que la méditation ; car l’ignorance, qui est une des suites du péché, obstrue souvent l’intelligence jusqu’à lui faire perdre le sentier de la vérité divine. En sorte que lorsqu’on se retrouve libre des préoccupations du dehors, il ne reste qu’à se mettre en présence de Dieu et à réfléchir devant lui. Il y a donc là pour la vie chrétienne, surtout dans les débuts de la vie purgative, un secours nécessaire pour fixer l’esprit dans les convictions.

A titre d’exception, il arrivera qu’au début des personnes seront favorisées de grâces particulières. Il ne faut pas les croire dans un degré élevé pour cela. C’est un effet de la bonté de Dieu qui les visite de cette manière pour leur donner du courage, les fortifier, les avertir qu’il leur faut avoir confiance en lui. Mais il y a souvent encore de grandes misères dans ces âmes; et cette première ferveur ne dure pas. Est-ce à dire. qu’elle ne venait pas ,de Dieu ? Nullement ; ce sont de bons moments qui sont ainsi présentés à l’âme ; elle d’en profiter. Mais il faut bien se garder de voir dans l’état de ces âmes quelque chose de semblable à ce qui se passe dans la vie mystique. Il ne faut las que l’âme s’y accoutume, car cela ne durera pas.

EN résumé, voilà donc un point acquis ; c’est que la méditation avec une tendance à l’oraison, aux affections, est une chose bonne dans les commencements.

SANS sortir de la vie ascétique, viennent maintenant ces facilités plus grandes de certaines âmes à trouver Dieu dans ces moments- là, à être plus aisément fixées, sans être tentées de se relâcher de cette occupation. Ce n’est pas encore un état mystique ; mais il y a progrès, le recueillement est plus aisé. Seulement que cette âme veille à ne jamais contrarier Dieu quand il veut lui substituer un sujet à celui qu’elle avait préparé. Il y a des âmes qui arrivent assez vite à cet état meilleur qui dépend beaucoup de la victoire sur les passions des appétits irascibles et concupiscibles. C’est déjà une grande chose quand l’âme arrive à se fixer facilement dans la présence de Dieu à n’être plus si aisément distraite, à avoir ce que les théologiens appellent l’attention active vers Dieu, qui établit cette âme dans un état permanent ci favorable pour que la lumière la touche.

AU-DESSUS encore, dans la même région, il y aura l’oraison qui consiste dans l’attention passive. Dieu s’essaie dans celte :’;me ; elle n’éprouve plus seulement la facilité à se lancer vers et se reposer en lui , mais une attraction d’où résulte l’entrée de l’âme dans un deuxième état de la vie spirituelle, qui est appelé par la théologie voie illuminative.

MAIS avant d’aborder cette région nouvelle, nous clorons cette première série de conférences, dans lesquelles nous avons posé tout ce qui pouvait convenir à la vie purgative. Dans ces généralités, nous avons compris à peu près tout ce qui pouvait se dire sur cette période de la vie chrétienne. Lorsque nous reprendrons nos conférences, nous entamerons le sujet de la vie illuminative, l’entrée duquel nous nous trouvons amenés maintenant.

 

Et fut l’impression du présent volume terminée en

la fête de Saint Charles, Évêque, l’an de

Notre -Seigneur mil huit cent quatre-vingt,

la persécution sévissant dans toute sa

force contre l’Église de Dieu, un

monastère de notre Congrégation

étant déjà- tombé pour la

liberté sacrée de l’Église ,

Solesmes attendant à chaque

heure le signal d’une

confession non moins

glorieuse.