Marie d’Agreda – 10e article

Marie d’Agréda et la Cité mystique de Dieu.

10ème article : Troisème partie de la Cité mystique. Saint Jean l’Evangéliste et la Vierge Marie. L’attente du Saint-Esprit au Cénacle. La Pentecôte. Lucifer tend les premières embûches à l’Eglise. Emprisonnement des Apôtres. Saint Jacques le Majeur. Marie à Ephèse. Lutte de Lucifer contre Marie. Destruction du temple de Diane. Marie quitte Ephèse pour Jérusalem. Vie de Marie à Jérusalem. Mort de Marie. Son Assomption et son couronnement au ciel.

 

(10° article — Voir les n°s des 24 mai, 7 et 21 juin, 19 juillet, 2 et 16 août, 13 et 27 septembre, et 11 octobre.)

La troisième partie de la Cité mystique débute par le retour de Marie sur la terre, après les trois jours qu’elle avait passés dans le Ciel, lors de l’Ascension du Christ. Saint Jean seul fut témoin de l’arrivée merveilleuse de la Reine des cieux, qui renonçait à occuper le trône préparé pour elle dans la gloire éternelle, jusqu’à ce que l’Église de son Fils fût assez développée pour se passer de sa présence et de ses soins maternels. La Sœur dit que saint Jean a eu aussi en vue cette descente de la Vierge, lorsqu’il a célébré la Jérusalem nouvelle arrivant du ciel en terre, parée comme l’Épouse pour son Époux ; et elle donne l’interprétation de ce passage de l’Apocalypse. Marie, de retour dans le cénacle où étaient réunis les Apôtres, s’offrit à Dieu pour remplir le ministère auquel elle avait sacrifié momentanément les joies du ciel ; saint Jean, qui vit sa gloire en ce moment, éprouva un effet d’éblouissement qui lui rappela l’émotion que lui avaient causée sur le Thabor les rayons de la gloire de son Maître. Mais l’éclat dont était environnée la Mère de Dieu demeurait caché à tout autre ; et les merveilles qui ont été manifestées dans les derniers temps furent voilées à l’origine, de crainte que les Gentils, s’ils en eussent eu connaissance, ne fussent entraînés à regarder Marie comme une divinité.

Durant les jours qui précédèrent la venue de l’Esprit-Saint, la Mère de Dieu priait avec les apôtres et les disciples dans le cénacle. Souvent elle leur adressait de touchants discours qui les ravissaient. Ils la prièrent de désigner celui qui devait remplacer Judas dans le collège apostolique : Marie déclina cet honneur, et rappela à l’assemblée que toute initiative de ce genre appartenait à Pierre, vicaire de son Fils. Après dix jours d’attente, l’Esprit—Saint descendit, selon la promesse du Rédempteur. Les effets de sa présence furent pour les habitants du cénacle le principe d’une vie nouvelle toute remplie de zèle et de lumière ; et pour Marie, l’infusion d’une grâce spéciale pour le ministère qu’elle avait à remplir. Toute la ville fut émue de la commotion qui annonça la présence du Saint-Esprit ; et c’est pour cela qu’un grand concours de peuple s’assembla autour du cénacle. Pendant que Pierre haranguait cette multitude, Marie priait à l’écart et obtenait l’efficacité pour ses paroles. Le prince des apôtres conduisit à ses pieds les nouveaux convertis, et leur révéla le dogme de la Virginité perpétuelle de la Mère de Dieu. Alors commença l’intercession toute-puissante de Marie envers les fidèles qui se confient à elle ; elle obtint pour eux de son fils cet heureux privilège. Il fut réglé par saint Pierre que le baptême serait conféré aux croyants le dimanche suivant, jour où nous célébrons la fête de la Très-Sainte—Trinité. Marie détermina, en attendant, la vie commune comme devant être celle que mèneraient d’abord les premiers fidèles, et proposa que l’on établît six personnes irréprochables qui seraient les dépositaires de tous les biens dont les disciples du Christ se seraient dépouillés.

Enfin le huitième jour après la Pentecôte étant arrivé, les croyants se réunirent au cénacle, et Pierre leur ayant expliqué la nature et les effets du baptême, on leur administra ce premier des sacrements ; ils étaient au nombre de cinq mille. Pierre ensuite célébra pour la première fois le saint sacrifice, et à ce moment le cénacle où le Sauveur l’avait institué deux mois auparavant fut illuminé d’une splendeur divine. Les cent-vingt personnes sur lesquelles l’Esprit-Saint était descendu le dimanche précédent communièrent sous les deux espèces ; les autres sous l’espèce du pain seulement. Marie participa aussi au divin mystère. L’hostie sainte qu’elle reçut fréquemment désormais demeurait en elle d’une communion à l’autre.

Cependant Lucifer commença à tendre des embûches à l’Église. Marie arrêtait ses efforts contre les fidèles ; mais il tourna sa rage contre les Apôtres, que leur ministère appelait à rendre témoignage au Christ. Ils furent emprisonnés ; Marie envoya auprès d’eux un de ses anges qui fit cesser leur captivité. Ce fut elle qui, par le moyen de ces esprits célestes, inspira à Gamaliel le conseil prudent qu’il fit entendre dans l’assemblée des chefs de la Synagogue, et qui valut un peu de tolérance à l’Eglise. Elle assista saint Etienne dans son martyre, et obtint par ses prières la conversion de Saul. Lorsque le moment fut arrivé de rédiger le symbole de la foi, la Vierge était présente. L’Esprit Saint descendit de nouveau sur les Apôtres ; chacun d’eux, rempli d’un feu divin, prononça un des articles ; et le symbole étant complet, Marie, membre principal de l’Eglise, en récita la profession entre les mains de saint Pierre et sous les yeux de ses collègues. Elle en fit parvenir des copies, par la main de ses anges, aux soixante-douze disciples qui évangélisaient au loin. Vint le moment de la division des Apôtres. Pierre, en présence de Marie, fit la distribution des diverses provinces de l’univers à ses frères, et l’Esprit-Saint se manifesta encore en ce moment solennel. Marie donna à chacun des Apôtres un vêtement semblable à ceux qu’elle avait autrefois travaillés de ses moins pour son Fils ; elle y ajouta quelques reliques précieuses du Rédempteur qu’elle avait conservées. Ils ne tardèrent pas à partir pour les pays auxquels ils devaient prêcher la foi ; souvent Marie employa le secours de ses anges pour les transporter d’un lieu à un autre, principalement quand ils désiraient se réunir, ou consulter Pierre, ou enfin rendre leurs hommages à leur auguste Reine. Elle communiquait aussi avec eux fréquemment, et elle leur fit savoir, entre autres nouvelles, la conversion de saint Paul.

Jacques-le-Majeur fut le premier des apôtres qui partit de Jérusalem. Il s’embarqua à Joppé, aujourd’hui Jaffa, relâcha en Sardaigne, d’où il débarqua à Carthagène. Il alla ensuite à Grenade, puis à Saragosse. Ce fut là que la Mère de Dieu, qui lui portait une tendresse particulière, lui apparut, et laissa comme monument de sa présence la célèbre image que l’Espagne honore sous le nom de Notre-Dame del Pilar. Les plus magnifiques promesses furent faites à l’heureuse terre qui possède eu sanctuaire ; et dans son cœur vraiment espagnol, la Sœur célèbre le bonheur qu’elle éprouve d’habiter un monastère qui n’est qu’à deux journées de Saragosse : elle ajoute cependant que les promesses de Marie furent conditionnelles, et que les péchés de l’Espagne pourraient en arrêter l’effet. La Mère de Dieu partit ensuite pour Éphèse en la compagnie de saint Jean, à qui Pierre avait confié le soin d’évangéliser l’Asie mineure. Le voyage se fit par mer : C’était la première fois que la Reine du monde était portée par cet élément. Les poissons et les monstres marins lui rendirent leur hommage, entourant de toutes parts le navire, en sorte que les nautoniers furent stupéfaits de celle merveille dont ils ne purent pénétrer la cause.

Marie habita à Ephèse dans une maison occupée par plusieurs dames veuves ; Jean y eut aussi son logement. De cet humble asile, elle faisait sentir son pouvoir aux démons, qui contrariaient de toutes parts, avec violence la prédication des Apôtres. Saint Jacques ne tarda pas à quitter l’Espagne, selon l’ordre qu’il avait reçu de se rendre à Jérusalem. Il voulut auparavant voir Marie une dernière fois. Il se rendit d’abord à Éphèse, où il prit congé de la Mère de Dieu, après l’avoir priée de l’assister dans le martyre qu’il devait bientôt subir à Jérusalem. Marie lui accorda cette grâce, et quand l’Apôtre eut eu la tête tranchée, par ordre d’Hérode Agrippa, elle présenta elle-même son âme à Dieu dans le ciel, où elle fut enlevée durant quelques instants. Le corps de l’Apôtre fut conduit dans la Galice sur un navire que guidèrent plusieurs anges députés à cet effet par la Reine du Ciel. Ce fut elle aussi qui envoya l’un de ces esprits célestes pour délivrer saint Pierre de la prison où l’avait fait enfermer Hérode, après le martyre de saint Jacques. Peu après, ce misérable prince périt tout-à-coup par la colère céleste, sous les yeux du peuple. Dieu voulut que cette juste vengeance fût exercée par Marie elle-même, en vertu de son pouvoir de reine et de protectrice de l’Église.

Lucifer, irrité de rencontrer sans cesse la main de Marie occupée à déjouer toutes les machinations qu’il tentait contre les fidèles, se plaignit à Dieu, et demanda qu’il lui fût permis de lutter contre elle, comme autrefois contre Job ; Dieu lui accorda ce pouvoir, afin de faire ressortir encore davantage la sainteté et la puissance de cette divine Mère. Cependant, Marie suppliait le Seigneur d’aider de sa miséricorde les progrès de l’Évangile dans Éphèse, toujours asservie au culte de Diane. Cette fausse divinité avait été dans le principe une créature humaine, l’une de ces femmes belliqueuses que Satan avait suscitées dans les temps anciens, et qui avaient passé de Scythie en Asie et étaient appelées Amazones. De nombreuses vierges desservaient le temple magnifique où l’on gardait l’idole. Marie commanda à l’un de ses Anges de renverser cet asile de la superstition païenne, et dans un instant il ne fut plus qu’un monceau de ruines. Les vierges profanes qui y exerçaient le culte de Diane périrent sous les décombres, à l’exception de neuf d’entre elles que Marie avait prises sous sa protection. Les magistrats d’Éphèse firent des recherches pour découvrir les auteurs du désastre ; mais leurs investigations n’aboutirent à rien. On attribua la chose au hasard, et le temple fut rebâti somptueusement, après le départ de Marie pour Jérusalem. Il était déjà reconstruit lorsque saint Paul 1 vint à Éphèse. La Sœur remarque que les historiens profanes qui ont raconté la première destruction du temple de Diane par Érostrate, ont gardé un profond silence sur cette dernière.

Après avoir accompli cet acte d’une redoutable justice contre le paganisme, Marie fut élevée au titre de commandante des armées du Seigneur contre tous ses ennemis. Alors s’accomplit la parole du divin Cantique, où il est dit que l’Épouse est « terrible comme une armée rangée en bataille. » Dix-huit chérubins reçurent l’ordre de revêtir leur auguste Reine d’une armure lumineuse. L’Église reconnaît cette nouvelle prérogative de la Mère de Dieu par le titre qu’elle lui a donné de « Secours des chrétiens, » et en lui attribuant, entre autres victoires sur les ennemis de l’Église, celle de Lépante et la délivrance de Vienne en 1683. Lucifer poursuivait le cours de ses embûches contre Marie ; il chercha à la tenter de vaine gloire, en paraissant devant elle et lui disant : « Marie, tout l’univers est à vos pieds. » La Vierge, dans sa ferme humilité, dédaigna cette basse flatterie.

Cependant, Pierre était revenu de l’Asie-Mineure à Jérusalem, et la Mère de Dieu ne tarda pas à s’y rendre elle-même. En quittant Éphèse, elle fit de tendres adieux aux pieuses femmes qui s’étaient groupées autour d’elle. Elles étaient au nombre de soixante-trois ; il y avait parmi elles beaucoup de vierges, entre autres les neuf qui avaient été sauvées du désastre du temple de Diane. Marie leur indiqua le genre de vie qu’elles devaient suivre, et elles formèrent ainsi le premier monastère de l’Église chrétienne. La Reine du ciel avait passé à Ephèse deux ans et demi, quand elle s’éloigna de cette ville. Le navire qui la portait vers Jérusalem fut assailli, dans le trajet, par une furieuse tempête qu’avait soulevée Lucifer, assisté de ses légions infernales. Les vagues montaient avec une telle furie, que plus d’une fois, pour éviter les secousses, les saints anges durent élever le navire au-dessus. Cette affreuse tempête, qui dépassait en horreur tout ce que l’on avait vu jusqu’alors sur la mer, dura quatorze jours.

Arrivée à Jérusalem, Marie visita les lieux de la ville marqués par le souvenir de son Fils. Il lui apparut sur le mont des Oliviers. Ce fut alors qu’elle lui demanda et obtint de lui que l’Eglise fût affranchie des observances judaïques. Ce fut l’objet du discours de saint Pierre dans le concile de Jérusalem, qui se tint les jours suivants, et où fut promulguée l’exemption des rites mosaïques pour tous les fidèles baptisés. La Sœur explique ensuite les mystères du XIIe chapitre de l’Apocalypse, où l’on voit la lutte du Dragon contre la Femme, et la honte de sa défaite. Lucifer fut terrassé et replongé dans les enfers, et son pouvoir fut presque nul durant les dernières années que la Vierge devait passer sur la terre ; dans cet intervalle, il ne s’éleva aucune hérésie dans l’Église. Marie avait cinquante-six ans lorsqu’elle revint à Jérusalem. Après sa lutte contre Lucifer, elle fut encore enlevée au ciel, où elle demanda à Dieu que les saints Évangiles fussent écrits. Quand elle fut de retour au cénacle, Pierre, par un mouvement de l’Esprit divin, désigna les évangélistes qui devaient, chacun en leur temps, consigner par écrit les actions et les paroles du Rédempteur. Saint Matthieu commença immédiatement la rédaction de son Evangile en hébreu ; saint Marc le suivit de près et écrivit dans la même langue ; plus tard, étant à Rome, auprès de saint Pierre, il traduisit son récit en latin. Saint Luc composa en grec son Evangile, étant dans l’Achaïe. Marie lui apparut, et il conféra avec elle sur les particularités qu’il rapporte de la Mère de Dieu avec plus d’abondance que les autres. Quant à saint Jean, ce fut après la mort de Marie qu’il écrivit son Évangile, pour s’opposer aux hérésies qui corrompaient la pureté de la foi. Plus tard, Pierre étant à Rome, Marie lui apparut. Elle se montra assise sur un trône, mais elle en descendit pour honorer le chef de l’Église de son Fils, et conféra avec lui sur l’institution qu’il devait faire des fêtes de la Naissance et de la Passion du Sauveur et de la Sainte-Cène. Pierre établit également la solennité du Dimanche, et les fêtes de l’Ascension et de la Pentecôte. Le Prince des Apôtres fit peu après un voyage en Espagne et visita les Églises fondées par saint Jacques. De retour à Rome, un jour qu’il était affligé des tribulations de l’Église dans celle ville, il chargea les saints anges préposés à sa garde d’exprimer son angoisse à Marie. Dieu leur commanda de transporter son apôtre à Jérusalem, auprès de la Mère de toute consolation. Pierre rentra dans Rome allégé, et trouva la position de l’Église améliorée.

La vie de Marie à Jérusalem se passait dans la contemplation des souffrances de son Fils, que tant de lieux lui rappelaient, et souvent elle répandait des larmes de sang sur la Voie douloureuse. Chaque semaine elle se retirait à l’écart, depuis le jeudi jusqu’au dimanche suivant, à midi. Dans cet intervalle, elle suivait toutes les scènes de la Passion du Rédempteur, souffrait toutes les douleurs, et méritait ainsi toutes les grâces qui sont réservées pour les âmes qui méditent avec amour sur les douleurs du Christ. Le matin du dimanche, elle était soulagée par le souvenir de la résurrection de son fils et des consolations qu’il vint en personne lui prodiguer. Comme elle portait constamment en elle la divine Eucharistie, le Christ envoyait souvent des anges sur la terre, afin qu’ils révérassent le grand mystère d’amour dans son tabernacle vivant. Marie travaillait de ses mains à faire les vêtements sacrés qui devaient servir à la sainte messe. Sur la fin de sa vie, elle donnait à peine une heure au sommeil : sa nourriture était un peu de pain et quelquefois du poisson, encore n’usait-elle de ces aliments que pour obéir à saint Jean. Elle eût pu se passer complètement de nourriture et de sommeil. Cependant le désir d’être réunie pour toujours à son Fils allait croissant et diminuait les forces de son corps. A la suite d’une défaillance qu’elle éprouva par l’effort de son amour, le Sauveur ordonna aux saints anges de la transporter au ciel chaque dimanche, afin qu’elle y goûtât les joies de la résurrection. Sur 1a terre, elle célébrait chaque année les anniversaires de la Conception immaculée, de sa Nativité, de sa Présentation au Temple et de son mariage avec saint Joseph. Le Sauveur lui apparaissait d’ordinaire en ces jours ; quant à elle, elle priait saint Jean de lui amener alors les plus misérables d’entre les pauvres, et elle les servait à genoux. Pour célébrer l’anniversaire du sublime mystère de l’Incarnation qui s’était opéré en elle, elle consacrait chaque année neuf jours, à partir du 18 mars. Noël lui apportait des joies immenses ; ses anges exécutaient de nouveau autour d’elle le cantique qu’ils avaient fait entendre à Bethléem. Marie fêtait en outre l’arrivée des Mages et le baptême de Jésus-Christ. Chaque année, elle imitait le jeûne de quarante jours que son Fils avait accompli sur la montagne ; à la fin de cette sainte quarantaine, les anges venaient lui apporter de la nourriture, et son divin Fils daignait la servir lui-même. Le Vendredi-Saint, elle se sentait attachée durant trois heures à la croix du Sauveur. Au jour de l’Ascension, elle était enlevée au ciel, et chaque fois l’option lui était proposée de demeurer dans la gloire et la vision de Dieu ou de revenir sur la terre pour veiller à l’Église naissante. Marie préférait toujours retourner à ses labeurs, laissant à la volonté divine de déterminer l’instant où elle devait quitter cette habitation terrestre et se réunir pour toujours à son Fils et à son Dieu. L’anniversaire de la Pentecôte était marqué chaque année par la visite spéciale de l’Esprit-Saint, qui descendait sur elle sous la forme d’une flamme céleste. Enfin, elle célébrait encore une fête en l’honneur des saints anges, et une autre en l’honneur de tous les saints. Ces pratiques de la Reine du ciel, par lesquelles elle sanctifiait ainsi toutes les principales époques de l’Année liturgique, devaient assurer aux fidèles qui les célébreraient dans la suite en union avec elle les grâces les plus abondantes et les plus précieuses.

Marie était parvenue à la soixante-septième année de sa vie, lorsque Gabriel fut député vers elle, dans un moment où elle était en prière pour les pécheurs. Après lui avoir adressé le salut de l’Annonciation, il lui déclara respectueusement que dans trois ans son exil prendrait fin. Après le départ de l’archange, la Mère de Dieu se prosterna et dit : « 0 terre, je te rends grâces de m’avoir portée, sans aucun mérite de ma part, durant soixante-sept années : je te prie de me porter encore jusqu’à ce que je sois arrivée à Celui qui est ma fin dernière. » Se tournant ensuite vers les autres créatures, elle dit encore : « 0 cieux, planètes, étoiles, éléments, je vous rends grâces d’avoir favorisé ma vie de vos influences ; aidez-moi encore, afin que je la rende plus digne de mon auteur. » Durant ces trois dernières années, la nature, par un instinct mystérieux, ressentit un deuil profond, étant à la veille de perdre Celle dont la présence avait accru son énergie et embelli sa parure. Les astres pâlirent au firmament, et n’ont pas recouvré depuis lors l’éclat dont ils avaient brillé durant la vie de la Reine de la création. Les oiseaux, particulièrement, éprouvèrent une douleur sensible qu’ils témoignaient en faisant entendre autour du cénacle leurs cris plaintifs au lieu de ces chants joyeux que si longtemps ils exécutaient à l’envi. Les bêtes farouches elles-mêmes exprimèrent leur douleur : on en vit un jour toute une foule sortir des forêts, descendre des montagnes et accourir près de Marie, dans un moment où elle priait sur le Calvaire. Ces animaux féroces l’entouraient, se couchaient sur la terre à ses pieds, et exhalaient leur désolation par des rugissements.

Enfin le départ de la Reine des cieux pour son royaume arriva. Elle alla prendre congé des Saints-Lieux, et vénérer une dernière fois les traces de son Fils sur cette terre qu’elle allait quitter. Elle commanda ensuite aux anges de sa garde de veiller sur ces lieux bénis lorsqu’elle serait au ciel. S’adressant ensuite à l’Église chrétienne, pour l’amour de laquelle elle avait souffert un si cruel et si long exil, elle lui dit : « O Église, tu es la maîtresse des nations, et tous les peuples te doivent honneur. » Elle dit adieu aux astres, aux éléments, à toutes les créatures de ce monde inférieur, les remerciant encore du secours qu’elle en avait reçu durant sa vie mortelle. Elle fit ensuite son testament, et disposa de l’immense trésor de tous ses mérites en faveur de l’Église militante, et cette donation fut ratifiée par son Fils, trois jours avant son trépas si fortuné pour elle et si lamentable pour la terre. Les apôtres se trouvèrent miraculeusement transportés à Jérusalem. Pierre leur dit avec tristesse : « Dieu veut nous enlever notre Maîtresse. » Cependant le cénacle était embaumé des plus odorants parfums ; des concerts d’une mélodie céleste se faisaient entendre ; le bâtiment du cénacle jetait un éclat qui se répandait au loin et attira autour de l’édifice un concours de peuple. L’heure était venue. Dieu qui, par une action continuelle, retenait l’effort de l’amour dans le cœur de Marie, afin qu’il ne rompit pas avant le temps le lien qui unit l’âme au corps, cessa de retenir cet élan sublime ; et à l’instant l’âme, brisant d’un seul coup les entraves de la mortalité, s’élança dans ce centre infini vers lequel un irrésistible aimant l’attirait. Les apôtres, l’Eglise, le monde, tous les êtres d’ici-bas furent orphelins au même moment. La terre fut couverte de ténèbres comme à la mort du Christ ; mais en retour, Dieu délivra à cette heure toutes les âmes captives dans le lieu des expiations ; il convenait que l’entrée au ciel de celle qui devait en être la Reine, fût marquée par les largesses du Roi de ce divin séjour. Marie atteignait la fin de sa soixante-dixième année, lorsqu’elle fut enlevée à la terre. Son exil loin de son Fils avait été de vingt-un ans quatre mois et dix-neuf jours.

Le saint corps, environné d’une lumière céleste, fut mis dans le cercueil par les apôtres, avec les mêmes vêtements dont il était couvert sur la couche funèbre. Les funérailles de la Mère de Dieu s’accomplirent avec le concours de Jérusalem tout entière ; juifs et gentils y prirent part, sauf un petit nombre dont le cœur était resté insensible à l’élan que Dieu inspirait à la population de cette grande ville, et il se fit à ce moment un grand nombre de conversions. Durant une année, le tombeau exhala les plus suaves parfums, et la chambre du cénacle où Marie avait expiré conserva plus longtemps encore cette merveilleuse odeur.

L’âme de Marie n’eut point à passer par le jugement particulier auquel est soumise toute âme humaine au sortir de ce monde. Elle fut tout aussitôt placée à la droite de l’humanité du Verbe, sur le trône de la Divinité. Trois jours après, Dieu ordonna que cette âme glorieuse allât se réunir à son corps, qui reposait dans le sépulcre, au fond de la vallée de Josaphat, sous les murs de Jérusalem. Le Fils de Dieu dit alors aux habitants du Ciel : « Ma mère a été conçue sans tache ; ma chair est sa chair ; elle a coopéré aux œuvres de ma Rédemption ; il est donc juste que je la ressuscite d’entre les morts, comme je suis ressuscité moi-même ; je le veux faire au même jour et à la même heure. » L’âme de Marie descendit donc pour se réunir au corps. La Mère de Dieu, ressuscitée, sortit du sépulchre, comme son Fils, sans que la pierre qui le couvrait fût dérangée, et il ne resta dans le tombeau que les vêtements et les linceuls. Cette résurrection eut lieu le dimanche, à minuit, et la Vierge-mère s’éleva au Ciel en corps et en âme. Quand elle fut arrivée près du trône de la Divinité, le Père éternel dit : « Elle a droit à notre royaume, qu’elle en soit couronnée Reine. » Le Verbe incréé dit : « Toutes les créatures sont à ma Mère. » Une voix se fit entendre du trône même, voix de l’éternelle Trinité ; elle disait : « Vous serez maîtresse de tous les hommes, ayant sur eux droit de vie et de mort. Vous serez la gouvernante de l’Eglise militante. Si les hommes vous invoquent, vous leur porterez secours. Tous les justes seront sous votre garde et vous les comblerez de biens selon la mesure de dévotion qu’ils auront en vous. Nous vous établissons gardienne de notre trésor. Nous déposons entre vos mains tous les moyens et tous les secours de notre grâce ; il vous appartiendra de les distribuer. Nous n’accorderons de faveurs au monde que par vos mains, et nous ne refuserons rien de ce que vous aurez concédé. Les anges et les bommes vous obéiront en tout ; car, ayant toujours été toute à nous, il est juste que tout ce que nous avons soit à vous. Vous gouvernerez avec nous dans l’éternité. » Dieu commanda ensuite à tous les habitants du Ciel de rendre foi et hommage à leur Reine.

La résurrection, l’assomption et le couronnement de Marie eurent lieu le 15 août, qui était cette année le dimanche ; le corps demeura trente-six heures dans le tombeau. Pierre voulant qu’une telle merveille, qu’il avait connue par révélation céleste, fût manifestée à l’Eglise, se transporta avec les autres Apôtres au sépulcre de la Vierge. On l’ouvrit, et on ne trouva plus que les linceuls et les vêtements ; alors un ange descendit du ciel et vint dire aux Apôtres : « Hommes de Galilée, de quoi vous étonnez-vous ? Votre reine est ressuscitée ; elle vit au ciel en corps et en âme. Elle m’envoie vers vous pour vous confirmer cette vérité, et pour vous recommander de nouveau l’Eglise et la prédication de l’Évangile. Reprenez au plus tôt votre ministère ; du sein de la gloire, elle ne cessera de vous assister. » Ces paroles encouragèrent les Apôtres ; et ils en éprouvèrent la vérité, surtout à l’heure où chacun d’eux eut à souffrir le martyre ; car alors elle leur apparut, reçut leurs âmes et les présenta elle-même au Seigneur. La Sœur termine son immense récit par ces paroles : « On rapporte diverses autres choses de la mort et de la résurrection de la bienheureuse Vierge ; mais comme elles ne m’ont pas été manifestées, je ne les écris pas. Du reste, dans toute cette histoire divine, je n’ai pas eu à choisir mes matières, et je n’ai pu dire que ce qui m’a été enseigné et ce qu’il m’a été commandé d’écrire. »

 

D[om] P[rosper] Guéranger.

  1. Correction établie d’après Dom Guéranger lui-même. Voir 1ère note de l’article 11ème.[]