L’Église ou la société de la louange divine

L’ÉGLISE

ou

LA SOCIÉTÉ

DE LA

LOUANGE DIVINE

 

PAR LE RÉVÉRENDISSIME PÈRE

DOM PROSPER GUÉRANGER

ABBÉ DE SOLESMES

 

SOLESMES

IMPRIMERIE SAINT-PIERRE

SARTHE)

1875


Suivi de

 

LE PRÊTRE

ET

L’ORDRE DE SAINT-BENOÎT

par Mme Cécile Bruyère, 1re abbesse de Sainte-Cécile de Solesmes

Monseigneur l’Évêque de Marseille a encouragé la diffusion de cet opuscule par la lettre suivante adressée au Révérendissime Dom Christophe Gauthey Abbé de Sainte Madeleine de Marseille.

 

    Évêché de Marseille.

    Mon Très Révérend Père,

    J’ai lu avec le plus vif intérêt l’opuscule posthume de Dom Guéranger, dans lequel cet illustre et dévoué serviteur de Dieu résume comme dans son testament la pensée de sa vie tout entière : L’Église ou la Société de la Louange divine.

    On délaisse beaucoup trop de nos jours la Prière publique, parce qu’on oublie quelle part importante elle a dans le gouvernement spirituel des âmes. Elle est comme un ressort puissant qui communique au grand courant de la grâce divine dans le corps mystique de l’Église plus de mouvement et surtout plus d’énergie. Aussi quand ce ressort se détend, les œuvres de la vie chrétienne deviennent moins nombreuses et moins vivaces.

    J’approuve donc de grand cœur la diffusion dans mon diocèse de l’écrit de Dom Guéranger. Les motifs qu’il expose et les moyens qu’il indique me paraissent très propres à rendre les chrétiens plus fidèles à assister aux Offices publics de l’Église, et surtout à y participer avec plus de fruit, en s’unissant de cœur et de bouche aux prières sacrées de la divine Liturgie.

    Veuillez agréer, cher et Révérendissime Père, la nouvelle assurance de mon affectueux et respectueux dévouement en Notre Seigneur.

LOUIS év. de Marseille

PRÉFACE

    Le Révérendissime Père Dom Prosper Guéranger, Abbé de Solesmes, quelques semaines avant de mourir, dictait à l’usage de ses disciples les pages que nous offrons aujourd’hui à la piété des fidèles.

    Ce n’était encore qu’une ébauche et comme la préparation d’un travail plus étendu. Cependant nous avons cru que ces Pages, malgré leur brièveté, méritaient d’être connues. Elles renferment en substance la pensée qui a guidé le grand serviteur de Dieu dans la composition de son Année liturgique. A ce point de vue, elles peuvent être considérées comme le Testament spirituel qu’il a voulu laisser à ses enfants et à ses pieux lecteurs.

    Par leur titre : L’Église ou la Société de la Louange divine, elles s’adressent à tous les fidèles sans distinction, prêtres et laïques, et tous y trouveront la direction très sûre d’une vie vraiment chrétienne.

    Cependant ce petit travail, dans la Pensée de Dom Guéranger, devait être regardé comme le résumé des instructions qu’il donnait à ceux qui voulaient se faire ses disciples et vivre en union de prières avec la famille qu’il avait fondée, les Bénédictins de la Congrégation de France. Ils ne formaient pas un Tiers Ordre; ce nom n’a jamais été connu chez les Moines. Mais Dom Guéranger les appelle du nom d’Oblats, que la tradition la plus ancienne de l’Ordre a consacré.

    Nous donnons à la fin : I. la Prière par laquelle il les unit à la famille bénédictine; 2. le petit Calendrier des fêtes qu’il recommande à leur piété, comme étant spécialement honorées dans la Congrégation de France de l’Ordre de Saint Benoît.

L’ÉGLISE OU LA SOCIÉTÉ

DE LA

LOUANGE DIVINE

 

I

    NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST communiquant à ses fidèles, au moyen de l’Église, toutes les grâces qu’il leur a méritées par son Incarnation &, sa Rédemption, les chrétiens ne doivent avoir rien de plus à cœur que de demeurer unis à cette sainte Église, qui, étant l’Épouse de notre Sauveur, est en même temps leur Mère. Dans le but d’accroître leur confiance en elle et de ranimer les sentiments d’union qu’ils doivent lui conserver sans cesse, on a eu la pensée de former une pieuse association de personnes qui se proposent pour but de reconnaître les bienfaits que Dieu nous confère par son Église, et de se tenir unies à elle toujours plus étroitement, afin de l’être toujours plus à son divin Époux.

    Les Associés comprendront que plus ils se tiendront près de la Mère que le Seigneur leur a donnée, plus ils seront en sûreté, et plus aussi leurs œuvres seront méritoires.

    Ils auront pour cette Église sainte la plus profonde soumission d’esprit et de cœur, étant toujours dans la disposition d’accepter tout ce qu’elle enseigne, tout ce qu’elle a enseigné comme objet de la croyance, et tout ce qu’elle enseignera jusqu’à la fin des siècles.

    Cette disposition de soumission et d’amour envers la sainte Église les rendra disposés à se tenir toujours unis à elle dans toutes les œuvres qui ont pour but le culte de Dieu, persuadés que c’est le moyen de donner à leurs œuvres individuelles un précieux accroissement de valeur et de vérité. Les sept Sacrements, dont le Seigneur montant au ciel a confié la garde et l’administration à son Église, seront pour eux l’objet du plus profond respect, et ils se garderont de jamais confondre ces signes agissants de la grâce institués par notre Sauveur, avec toute autre œuvre qui procéderait de la sainteté personnelle de telle ou telle créature.

    Le saint Sacrifice de la Messe qui est le même que celui de la Croix, sera estimé par eux comme le principal moyen d’honorer Dieu, de lui rendre grâces, de l’apaiser et d’obtenir son secours.

    Quant à la sainte Communion, dont nous sommes mis en possession par l’oblation du saint Sacrifice, ils ne l’en isoleront pas dans leur respect et dans leur amour. Ils seront empressés à la fréquenter selon l’intention de son divin Instituteur.

    Leur religion, éclairée par l’enseignement et la pratique de la sainte Église, se manifestera aussi par une piété tendre et profonde envers la très sainte et immaculée Mère de Dieu, par une dévotion fervente envers les saints Anges et envers les Saints que l’Église honore de son culte. En véritables catholiques, ils ne craindront point de se faire remarquer par leur vénération pour les saintes Reliques et les saintes Images, par leur estime pour les pèlerinages.

    La sainte Église étant pour tous les fidèles la Mère sans laquelle ils ne sauraient avoir Dieu pour Père, ils s’efforceront de s’unir en toutes choses à son esprit; et comme elle est bâtie sur la pierre de la sainte Église Romaine, ils honoreront le Pontife de cette Église comme le Vicaire infaillible de Dieu sur la terre, Docteur et Pasteur de tous les chrétiens, source de la puissance spirituelle et du pouvoir des clefs. Ils auront pour leur Évêque légitime le respect et la soumission qui sont dus aux membres supérieurs de la hiérarchie sacrée; ils considéreront comme l’œuvre la plus agréable à Dieu de contribuer à donner à sa sainte Église des ministres capables d’instruire sur la doctrine, zélés pour le règne de Jésus-Christ et pour la sanctification des âmes 1

    [Le même esprit de foi leur inspirera un grand respect pour les vœux, qui ajoutent aux allions du chrétien un nouveau mérite. A cause de cela, l’état religieux, qui est constitué par les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, et trouve sa forme la plus complète comme la plus ancienne dans l’Ordre monastique, sera pour tous les associés l’objet d’une vénération particulière. De plus, avec l’Église, ils estimeront et aimeront dans chacun des autres Ordres religieux la fin pour laquelle il a été approuvé, et le bien qu’il a déjà fait ou qu’il est appelé à faire.]

    Ils auront une estime particulière pour leur beau nom de Chrétiens, lequel est formé de celui du Seigneur Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme dans l’unité de personne. Ils se feront un insigne honneur de leur surnom de Catholiques, qui les distingue de ceux qui, ayant reçu le Baptême, n’appartiendraient plus à la véritable Société chrétienne. Ils attacheront un grand prix aux signes de la foi catholique, sur lesquels l’Église a répandu la bénédiction dont la source est en elle. Les Huiles saintes, l’Eau bénite, les Cierges de la Chandeleur, les Rameaux du dimanche des Palmes, seront considérés par eux avec une respectueuse estime, et ils préféreront toujours, en fait de dévotions et d’objets du culte, ce qui porte l’empreinte du pouvoir céleste qu’exerce la sainte Église.

    Ils s’intéresseront aux Fêtes de l’Église, aux cérémonies qu’elle y emploie, aux rubriques même qu’elle observe. Chaque semaine, ils voudront savoir sous la protection de quel Saint est placée la journée. Le Calendrier liturgique que nos pères connaissaient si bien aux âges de foi, la vie des Saints eux-mêmes, les attributs avec lesquels l’Église approuve qu’on les représente depuis les temps anciens, seront connus d’eux; et s’ils ont une influence sur l’éducation du jeune âge, ils aimeront à inculquer aux enfants ces pieuses tendances qui étaient populaires dans les âges de foi.

    Les pratiques de piété usitées parmi les fidèles, leur seront chères en proportion de ce qu’elles auront obtenu l’approbation du Siège Apostolique, et ils auront une confiance toute particulière dans les Indulgences, dont le Concile de Trente déclare l’usage bon et salutaire au peuple chrétien.

II

    Afin donc d’aider à la conservation et à l’accroissement de l’esprit catholique, dont les habitudes sont décrites ci-dessus, on a formé une Association dont les membres, pour procurer l’honneur de Dieu et assurer leur fidélité, s’attacheront aux pratiques suivantes :

    Les Dimanches et Fêtes, ils assisteront de préférence à la Messe solennelle dans les églises où elle se célèbre avec les rites et le chant de l’Église.

    S’il était incommode pour eux de communier à une heure tardive, ils se mettront en mesure d’assister préalablement à une messe basse.

    Ils seront attentifs à suivre tous les rites et cérémonies employés par les prêtres et les ministres à l’autel, à en pénétrer et goûter le sens, à en connaître l’antiquité et l’institution, et à mériter ainsi d’y puiser la grâce que l’Esprit Saint y a déposée.

    Ils suivront les chants de la sainte Église, s’aidant de traductions au besoin pour avoir le sens des formules, et ils ne se distrairont pas de l’assistance aux saints Mystères par des livres, qui peuvent être excellents dans d’autres instants, mais qui leur nuiraient à ce moment en les mettant en dehors de la sainte Liturgie.

    L’œuvre pieuse à laquelle ils tiendront le plus, sera l’assistance au saint Sacrifice, où se renouvelle la Passion de Notre Seigneur ; ils offriront la divine Victime à Dieu, en union avec l’Église, aux quatre fins de l’adoration, de l’action de grâces, de la propitiation et de la demande. Les jours où ils ne communieront pas, ils feront la communion spirituelle au moment où le Prêtre fait la communion sacramentelle, et s’y prépareront par l’acte de contrition et l’offrande d’eux-mêmes à Notre Seigneur.

    Après le saint Sacrifice de la Messe, ils n’estimeront rien tant que les Offices divins dans lesquels l’Église rend à Dieu son continuel hommage par les Heures canoniales. Les Dimanches et Fêtes, ils seront empressés à assister aux Vêpres et aux Complies, et se mettront en mesure, autant qu’il leur sera possible, de s’unir à la sainte Église dans le chant des psaumes et des hymnes. Si Dieu leur fait la grâce de goûter le Psautier, ils lui en auront une reconnaissance particulière, se souvenant que, dans les âges de foi, c’est toujours par les psaumes que Dieu s’est communiqué aux âmes. Ils préféreront les églises dans lesquelles l’Office divin se célèbre selon la règle ecclésiastique, telles que la Cathédrale ou toute autre. Dans leurs dévotions particulières, ils aimeront à se servir des prières de l’Église comme expression de leurs sentiments.

    Ils désireront beaucoup s’unir à Dieu par la prière mentale ou l’oraison; en quoi ils seront puissamment aidés par leur union avec l’Église dans la sainte Liturgie. Les diverses saisons spirituelles de l’année leur révéleront les mystères desquels émanent la piété et le véritable esprit de prière. Ils visiteront fréquemment Notre Seigneur dans le saint tabernacle, et s’estimeront particulièrement favorisés lorsqu’il leur sera possible d’assister au Salut et de recevoir la bénédiction du Très Saint Sacrement.

III

    Les conseils que l’on vient de lire ont été demandés par des personnes que Dieu a mises en rapport avec plusieurs monastères de l’Ordre de Saint Benoît, vers lequel semblait les porter leur attrait pour le Service divin de préférence à des œuvres privées. On a ,rédigé pour leur usage, et comme pouvant servir de moyen pour développer et conserver cet esprit, les articles qui précèdent.

    En terminant, nous leur indiquerons ici les différentes époques de l’année auxquelles ils renouvelleront l’esprit de leur pieuse Association.

    La première sera le Temps de l’Avent, qu’ils emploieront tout entier à se préparer à la fête de Noël.

    La seconde, le Temps de Noël ,qu’ils passeront à contempler la divine enfance de l’Emmanuel.

    La troisième, le saint Temps du Carême, durant lequel ils se prépareront par la pénitence aux joies de la Pâque.

    La quatrième, le Temps pascal, qu’ils passeront avec Jésus ressuscité.

    La cinquième, les dix jours entre l’Ascension et la Pentecôte, qui les disposeront à recevoir la nouvelle visite du ,Saint-Esprit.

    Enfin la dernière section qui est appelée :

    « après la Pentecôte », durant laquelle ils doivent s’exercer aux vertus et à l’avancement que les mystères ont préparés en eux, et qui leur donneront droit à prendre part à la louange divine.

 

    Il est utile d’indiquer ici, pour chaque mois, les fêtes non mobiles que les associés devront célébrer avec une dévotion particulière.

    Le plus grand nombre sont enrichies d’indulgences. Nous les indiquerons à la fin de ce petit volume avec les conditions exigées pour les gagner.

 

    JANVIER

    I La Circoncision de Notre Seigneur.

    6 L’Épiphanie de Notre Seigneur.

    Le deuxième dimanche après l’Épiphanie : Fête du très saint Nom de Jésus.

    15 Saint Maur, abbé.

    18 La Chaire de saint Pierre à Rome.

 

    FEVRIER

    2 La Purification de Notre-Dame.

    10 Sainte Scholastique, vierge.

    24 Saint Mathias, apôtre

 

    MARS

    9 Sainte Françoise Romaine, veuve, oblate de Saint Benoît.

    12 Saint Grégoire le Grand, Pape.

    19 Saint joseph, époux de la Très Sainte Vierge.

    21 Saint Benoît, abbé.

    25 L’Annonciation de Notre-Dame.

 

    AVRIL

    25 Saint Marc, Évangéliste. Le troisième dimanche après Pâques :

    Le Patronage de saint Joseph.

 

    MAI

    1 Saint Philippe et saint Jacques, apôtres.

    3 L’Invention de la sainte Croix.

 

    JUIN

    24 La Nativité de saint Jean-Baptiste.

    29 Saint Pierre et saint Paul.

    Le vendredi après l’octave du Saint Sacrement : Fête du Sacré-Cœur de Jésus.

 

    JUILLET

    2 La Visitation de Notre-Dame.

    11 La Translation de saint Benoît.

    22 Sainte Marie Madeleine.

    25 Saint Jacques, apôtre.

    26 Sainte Anne.

 

    AOUT

    6 La Transfiguration de Notre Seigneur.

    10 Saint Laurent, martyr.

    15 L’Assomption de Notre-Dame.

    24 Saint Barthélemy, apôtre.

    25 Saint Louis, Roi de France.

 

    SEPTEMBRE

    8 La Nativité de Notre-Dame.

    21 Saint Matthieu, apôtre.

    29 Saint Michel, Archange.

 

    OCTOBRE

    2 Les Saints Anges Gardiens.

    5 Saint Placide et ses compagnons, martyrs.

    9 Saint Denys, évêque et martyr.

    18 Saint Luc, Évangéliste.

    28 Saint Simon et saint Jude, apôtres.

 

    NOVEMBRE

    I La Toussaint.

    2 La Commémoraison des fidèles trépassés.

    11 Saint Martin, évêque.

    13 Tous les Saints de l’Ordre de Saint Benoît.

    17 Sainte Gertrude, vierge.

    21 La Présentation de la très sainte Vierge.

    22 Sainte Cécile, vierge et martyre.

    30 Saint André, apôtre.

    Le dimanche après l’octave de la Toussaint : La Dédicace des Églises.

 

    DÉCEMBRE

    7 Saint Ambroise, évêque et docteur.

    8 L’Immaculée Conception de Notre Dame.

    21 Saint Thomas, apôtre.

    25 Noël.

    26 Saint Étienne, premier martyr.

    27 Saint Jean, apôtre.

    28 Les saints Innocents.

LE PRÊTRE

ET

L’ORDRE DE SAINT-BENOÎT

par Mme Cécile Bruyère, 1re abbesse de Sainte-Cécile de Solesmes

    LES conseils proposés dans les pages qui précèdent s’adressent surtout aux fidèles, mais les supposent, ou déjà sérieusement instruits, ou du moins à même de s’instruire dans les principes et la pratique de la vie chrétienne. Malheureusement cette instruction est très rare et très difficile de nos jours.

    C’est pourquoi des prêtres zélés qui auraient la dévotion d’entrer dans l’association dont il a été parlé, lui apporteraient nécessairement, par leur science, un concours très utile.

    Plusieurs en ont témoigné le désir et c’est pour répondre à leur bonne volonté que nous essayons de dire ici. quel caractère spécial l’union d’un prêtre séculier avec l’Ordre de Saint Benoît devrait imprimer à tout son ministère.

I

    Le prêtre séculier qui désire, dans le but de sa sanctification personnelle, s’affilier à l’Ordre monastique, comme à un véritable contre fort, doit chercher dans une certaine mesure à s’identifier à l’esprit de cet Ordre, qui est tout entier dans une pénétration plus intime de l’Évangile et de la vie de la sainte Église.

    Au lieu donc de chercher dans une série de pratiques plus ou moins stries et dans des exercices spéciaux ce qui doit le caractériser, il entrera énergiquement dans la vie de foi, sans aucune pactisation avec le monde et ses doctrines. Ce sera là son cachet spécial, déterminé, et comme la bannière sous laquelle il marchera désormais.

    Cette vie de foi, qui donne aux chrétiens ordinaires conscience de leur baptême, donnera au prêtre, ainsi relié à saint Benoît, la connaissance approfondie de son sacerdoce et des rapports intimes qu’il lui crée avec la divine Majesté. Il se considérera comme l’homme de la sainte Église, son ministre, son serviteur, vocatus a Deo tamquam Aaron, pour perpétuer en elle et pour elle le juge sacrificium.

II

    L’offrande de ce divin Sacrifice étant l’œuvre principale du prêtre, est par là même le centre vers lequel toute sa vie doit converger ; car si les dispositions personnelles du sacrificateur n’ajoutent rien à la valeur intrinsèque du sacrifice, il n’est pas moins vrai que plus est étroite l’union du prêtre à Jésus-Christ Pontife éternel, mieux sont remplies les intentions du Seigneur.’

    Les quatre fins du Sacrifice seront donc l’âme de toute l’existence de notre prêtre ; l’amendement continuel de sa vie aura pour but de le mettre en mesure de remplir ces devoirs avec plus de plénitude. Il aimera aussi particulièrement dans la Liturgie tout ce qui peut relever la célébration de la sainte Messe. Il se souviendra que l’Autel de la terre et celui du ciel sont un même autel, et que sa mission est de reproduire, autant que possible, sur la terre, ces pompes sacrées du ciel que saint Jean nous a dépeintes, et qui sont le cadre naturel du divin Sacrifice.

    Il approfondira dans l’oraison toutes les formules qui environnent cet auguste mystère, plutôt que de chercher dans des traités purement humains ce qui pourrait nourrir sa piété, et il s’efforcera de ne se familiariser jamais avec ce langage si profond, si sublime, mais d’en pénétrer toujours plus avant le sens.

III

    La célébration du saint Sacrifice de la Messe appelle, comme son complément nécessaire, ce qui en est l’entourage essentiel, la célébration de l’Office divin. L’Église ne peut pas plus se passer du sacrifice de louange, qu’elle ne se passe du sacrifice de l’autel; et si l’Apôtre regarde comme un devoir pour les chrétiens ordinaires d’offrir à Dieu ce solennel hommage, lorsqu’il leur dit : Verbum
Christi habitet in vobis abundanter in omni sapientia, docentes et commonentes vosmetipsos psalmis, hymnis et canticis spiritualibus, in gratia cantantes in cordibus vestris Deo, le Verbe de Dieu doit, à plus forte raison, passer sans cesse sur les lèvres de l’oint du Seigneur, pour rendre à Dieu ce qui lui est dû.

    Le prêtre rattaché à l’Ordre monastique doit donc, plus que tout autre, comprendre l’importance de l’Office divin; et s’il est privé de sa célébration solennelle, qui était cependant autrefois l’apanage des clercs aussi bien que des moines, il s’efforcera néanmoins, autant qu’Il le pourra, de maintenir les heures propres à chaque Office, parce que Dieu lui-même semble les avoir indiquées. Dès que plusieurs de nos prêtres se trouveront réunis, ils se feront un bonheur de dire leur bréviaire ensemble, ne doutant pas qu’il n’y ait une grâce spéciale attachée à cette récitation commune, et qu’ils n’entrent ainsi plus avant dans les désirs de leur Mère la sainte Église.

    Le Bréviaire ne sera pas aux yeux du prêtre qui aime la louange divine un joug pesant, auquel il serait assujetti par des peines sévères; ni un devoir dont on s’acquitte sèchement, plus par crainte que par amour. Heureux de penser que l’Église l’a choisi pour exprimer à son divin Époux l’hommage de son amour et de sa prière, il regardera comme une de ses premières obligations d’entrer, par l’étude et la méditation, dans les sentiments dont il a l’honneur d’être l’interprète. Il y cherchera la plus vraie consolation de sa vie, l’aliment de son âme, la source de l’esprit de prière. Au lieu de faire consister sa piété à se surcharger d’autres prières vocales, il mettra tous ses soins à parfaire de plus en plus la manière dont il récitera les Heures canoniales, parce qu’aucune prière ne peut être plus efficace que celle que le divin Esprit a formulée lui-même. L’oraison ne peut avoir aussi une source plus surnaturelle et plus fructueuse que lorsqu’elle découle directement de ce centre sacré, et notre prêtre tiendra à honneur d’employer plutôt la parole de Dieu et les prières de la sainte Église, pour son oraison, que la parole humaine.

    Le désir de rendre à Dieu un parfait hommage ne lui fera pas limiter aux seuls instants consacrés à la récitation de son bréviaire le sentiment de la présence de Dieu; mais ayant puisé, dans cette récitation attentive, comme une certaine préoccupation douce des choses divines, il la, maintiendra en soi-même par le recueillement habituel au milieu de ses divers devoirs.

IV

    Lorsque le prêtre s’est acquitté de son service envers Dieu, il est encore comptable de son sacerdoce envers les âmes pour lesquelles il a reçu l’imposition des mains plus que pour lui-même. L’administration des Sacrements lui est confiée par Dieu pour sanctifier les hommes et les diriger vers leur fin. Ce sera donc avec un saint tremblement et une dévotion sans cesse renouvelée, que le prêtre dévoué à saint Benoît s’acquittera d’un si haut ministère. Il connaîtra à fond les rubriques, le Rituel, le Pontifical, ne s’étant pas contenté d’une lecture superficielle, mais ayant sondé sérieusement le sens de ces rites et des formules sublimes qui les accompagnent. Il se défiera de l’habitude et de la routine, en renouvelant sans cesse en lui le sentiment de la foi, de la crainte de Dieu, de la charité.

V

    Il se surveillera plus encore, s’il est possible, dans la prédication, parce que dans ce ministère l’homme exerce individuellement plus d’influence que dans l’administration des Sacrements, qui opèrent par eux mêmes et ont une énergie intrinsèque. Notre prêtre fuira les nouveautés, les choses subtiles, et se glorifiera surtout comme saint Paul de prêcher Jésus, et Jésus crucifié. Il prendra surtout ses modèles dans les harangues des Apôtres, que la sainte Écriture reproduit ; et sans être négligé dans la forme, il sera simple, allant droit au but. Il cherchera moins à plaire ou à briller, qu’à réformer, à gagner, à instruire, à convertir les âmes; il aura en un mot ce vrai zèle de la maison de Dieu dont parle le Psalmiste. Sa première préparation sera la prière, qui a toujours été pour les saints Docteurs la principale source de leur connaissance; la seconde sera la sainteté de la vie, qui éclaircit l’œil de l’âme et lui donne de contempler, même en ce monde, la Vérité éternelle, suivant cette parole : Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt. Enfin la troisième sera l’étude de l’Écriture sainte, des Pères, de la Théologie, de la vie des Saints, etc. ; car le prêtre qui, selon saint Denys, représente la vie illuminative par son caractère, doit chercher sans cesse la lumière pour la répandre ensuite dans les âmes.

VI

    Notre prêtre s’attachera de tout son cœur à la spiritualité ancienne, si solide et si large, et toujours si sobre de prescriptions extérieures. Il ne fera pas consister son avancement dans une certaine correction mécanique et tout apparente, ni dans des exercices souvent impossibles à maintenir au milieu des travaux du saint ministère; mais bien plutôt dans une vie vouée au service de Dieu jusque dans son fond, et s’écoulant toujours sous le regard de la divine Majesté.

    Il aura une spéciale dévotion à l’Épître de saint Paul aux Hébreux, aux deux Épîtres à Timothée, comme étant le premier manuel où il trouvera les vertus de son état. Il pourra aussi lire avec fruit pour soi-même le Prologue de la Règle du saint Patriarche Benoît, et les chapitres de cette même sainte Règle : Quae sint instrumenta bonorum operum ; de humilitate ; de disciplina psallendi ; de reverentia orationis. Il se tiendra en garde contre une certaine suffisance et confiance en soi-même, qui peut facilement naître lorsqu’on ne fait pas assez la distinction entre ce qui est dû au caractère et ce qui est dû à l’homme ; disposition contraire à l’humilité, que saint Benoît avec sa prudente expérience avait déjà remarquée, et à laquelle il oppose cette sentence énergique adressée aux prêtres qui se donnaient à lui : Magis humilitatis exempla omnibus det.

    Notre prêtre se souviendra sans cesse qu’il est donné en spectacle au monde, aux anges et aux hommes, et que si le diacre est tenu de garder le mysterium fidei dans une conscience pure, lui, le prêtre, qui opère ce même mystère, identifié par son caractère plus sacré au Verbe incarné, doit être tel qu’il fournisse au Père céleste l’occasion de dire, à cause de la ressemblance qu’il lui trouvera avec son Fils : Hic est filius meus dilectus, in quo mihi bene complacui !

    C’est ainsi que le prêtre sera vraiment rattaché à l’Ordre monastique, et contractera un lien avec notre glorieux Patriarche, l’Abraham de la Loi nouvelle, vraiment digne d’être en ces jours, où les vérités sont diminuées parmi les enfants des hommes, le Père des croyants, le Père de ceux qui ne veulent reconnaître que la Foi pour règle de leurs pensées, de leurs sentiments, de leurs paroles et de leurs actes.

  1. A cet endroit du manuscrit, le vénérable Abbé de Solesmes avait écrit de sa main, pour indiquer un développement qu’il se proposait d’ajouter : Estime de l’État religieux. Afin de répondre à sa pensée, nous avons, à l’aide de ses autres écrits, ajouté à son texte les lignes que nous plaçons entre crochets.[]

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