Introduction
« « Ne rien préférer à l’amour du Christ », dit Notre Bienheureux Père saint Benoît. Cette phrase toute seule explique et fait comprendre sainte Gertrude. Et pour nous moines, nous devons nous dire que nous sommes moines seulement dans ce dessein. Nous ne remplissons que par là notre devoir d’enfants de saint Benoît. Toute sainte Gertrude consiste dans cet amour de Dieu fait homme et se communiquant à sa créature. » Ainsi parlait Dom Guéranger à ses moines, en novembre 1870.
Lorsque l’on s’intéresse à Dom Guéranger (1805-1875), le restaurateur de la vie bénédictine en France au 19e siècle, on pense au liturgiste, au théologien ou au défenseur du Siège Apostolique. On ignore son attachement à la Personne de Notre Seigneur. Pourtant dès l’âge de 18 ans, le jeudi saint 1823, il se consacrait au Sacré-Cœur, et lorsque, dans des conditions difficiles, il voulut fonder Solesmes, il fit un vœu au même Cœur de Jésus qui prenait ainsi la place centrale dans le nouvel établissement. En 1852, au cours d’un entretien privé, il n’hésita pas à demander au Pape Pie IX d’étendre à l’Église universelle le culte du Sacré-Cœur. Ainsi l’amour pour Jésus sous le symbole du Cœur fut une caractéristique du premier Abbé de Solesmes. Bien d’autres traits devraient être soulignés, rapportons au moins ceux-ci. Dans un Règlementqu’il destinait à la formation des novices, Dom Guéranger consacra un chapitre entier à l’Amour de Jésus. Il se sentait de plain-pied avec la Vénérable Marie d’Agréda qui lui faisait connaître, jusque dans le détail, l’Humanité sainte du Fils de Dieu. En février 1862, Dom Guéranger s’exclamait à propos du 3e Livre de L’Imitation, dans lequel « c’est à peine s’il est question en deux ou trois endroits de la sainte Humanité de Notre Seigneur, » et où « rien ne parle de sa naissance, de sa vie, de sa passion, de son triomphe ! » Puis, ce cri du cœur : « Quelle différence avec notre Sainte Gertrude ! Quel enthousiasme pour le Christ ! Quels accents divins quand elle parle de ses plaies sacrées !, et quand elle arrive à celle du Cœur, elle n’est plus sur la terre. »
L’année suivante, Dom Guéranger publiait en français les Exercicesde sainte Gertrude, qui n’avaient pas été édités depuis près de trois siècles. Le succès fut immédiat. Quelques mois plus tard, des traductions firent connaître en Allemagne et en Angleterre les écrits de la grande mystique de Souabe.
« Sainte Gertrude n’a pas été Abbesse, elle n’en est pas moins un grand Docteur de la vie spirituelle », disait Dom Guéranger. Il la considérait comme « la plus belle rose du rosier figurant saint Benoît ». Elle avait été bénédictine (selon la tradition cistercienne), et Dom Guéranger s’en réjouissait. Grâce à elle, en effet, la dévotion au Sacré-Cœur était comme une propriété de l’Ordre de saint Benoît.
Sa riche personnalité mystique est une icône merveilleuse de l’amour ardent de l’Église envers son Époux et notamment envers son Cœur. L’amour du Christ qui est à la base de la vie contemplative créée par saint Benoît, se nourrit de la Parole de Dieu et de la célébration liturgique. C’est là que se trouvent le langage et les accents de la charité les plus saints et justes, féconds et enflammés, forts et harmonieux. Le secret de l’attrait exercé par sainte Gertrude sur ses lecteurs réside dans sa connaissance parfaite des Écritures. Ainsi, Dom Guéranger aimait avant tout chez elle l’Onction apprise par la fréquentation de la Parole de Dieu. Cette onction vient également de la participation à la liturgie, dont la suavité est le sceau de l’Esprit Saint qui anime le culte de l’Église. « Cette fille du cloître n’a pas cessé un seul jour de puiser la lumière et la vie aux sources de la contemplation véritable, de cette contemplation que l’âme goûte en s’abreuvant à la fontaine d’eau vive, qui jaillit de la psalmodie et des paroles inspirées des divins Offices. » (Préface aux Exercices). Mais, l’enthousiasme de Dom Guéranger allait toujours de pair avec l’humilité : « Gertrude, écrivait-il, nous détache doucement de nous-mêmes et nous conduit à Jésus-Christ, en nous précédant de loin, mais en nous entraînant après elle. Elle va droit au cœur de son Époux : rien n’est plus juste ; mais ne lui serons-nous pas déjà assez redevables, si elle nous conduit à ses pieds comme Madeleine repentante et régénérée ? »
Frère Jacques-Marie Guilmard, moine de Solesmes
